Pendant 17 ans, les membres de la famille de Rosiana Poucachiche ont croisé son assassin dans les rues de la petite réserve algonquine de Lac-Rapide où ils habitent. Et pendant 17 ans, ils ont eu des soupçons. Enfin, ils pourront obtenir justice.

Rosiana avait 17 ans lorsqu'elle a été assassinée. Son corps a été découvert dans son lit, le matin du 10 octobre 2000, dans la maison qu'elle habitait avec son père. Près de deux décennies plus tard, la Division des enquêtes sur les crimes non résolus de la Sûreté du Québec vient de solutionner l'affaire, notamment grâce à des avancées au niveau de la preuve par ADN.

Jeudi soir, un homme de 33 ans, membre de la communauté de Lac-Rapide et que la famille tant que la police avaient dans leur mire depuis le début, a été arrêté. Comme il était mineur au moment des faits, la loi nous interdit de révéler son nom.  

"Les enquêteurs m'ont assuré qu'ils ont une preuve solide contre le suspect et nous nous sentons en paix avec cela", écrit la soeur de la victime, Marylynn Poucachiche, dans un message envoyé à La Presse où elle remercie chaudement les policiers.

L'homme était dans une pourvoirie au coeur du parc de La Vérendrye, près de la réserve, avec sa femme et leur bébé, lorsque les enquêteurs lui ont passé les menottes. Dès qu'il a vu les policiers, il a pris la fuite en pleine forêt avant d'être rattrapé. 

Il a été accusé hier de meurtre au premier degré au palais de justice de Maniwaki, en Outaouais.

À Lac-Rapide, c'est le choc. «Nous sommes encore ébranlés. C'est quelqu'un que nous connaissons depuis longtemps. C'est dévastateur pour notre communauté», dit le chef du conseil de bande, Casey Ratt. 

"Nous sommes une très petite communauté pour qu'une grosse chose se produise, ajoute la soeur de Rosiana. Tout le monde est encore en état de choc et se sent comme si on était le jour où elle a été assassinée. Notre communauté doit guérir."

Battue à mort

La veille de sa mort, Rosiana avait passé la soirée à une fête. Sa meilleure amie l'avait raccompagnée chez elle. Elles avaient partagé un sandwich. Puis la jeune femme était rentrée à la maison.

Le lendemain, son père, Albert, a trouvé son corps inerte. Il y avait tellement de sang qu'il n'a pas reconnu sa propre fille.

L'enquête du coroner a révélé qu'elle avait été battue à mort.

Elle avait trois profondes lacérations à la tête. Elle avait du sang et des bleus partout. Le rapport de coroner, que nous avons obtenu, a démontré qu'elle est morte des suites d'un traumatisme crânien et qu'elle a été frappée à l'aide d'un objet contondant. Elle avait eu une relation sexuelle.

Selon nos informations, la police a pu confirmer que c'est l'homme qui est accusé de l'avoir tuée qui a couché avec elle à l'époque. Le rapport de coroner ne permet pas de prouver que l'adolescente a été violée, mais cette théorie n'est pas exclue.

"Ma soeur était ambitieuse et énergique, elle avait beaucoup d'amour pour sa canisse et ses amis. C'est comme ça que je veux qu'on se souvienne d'elle. Elle ne méritait pas cette brutalité," écrit Marylynn.

17 ans de soupçons

Dès les mois qui ont suivi le meurtre, le suspect accusé hier, qui n'est pas membre de la famille de la victime, est tombé dans la ligne de mire des enquêteurs. Son domicile a été perquisitionné, mais les analyses réalisées à l'époque n'avaient pas permis de relier le suspect au meurtre.

La famille aussi l'avait à l'oeil. Dans une entrevue publiée dans La Presse en mars 2016, Marylynn Poucachiche, se disait persuadée de l'identité du coupable. « Ce ne sont que des spéculations, mais ça me fait mal. Il habite ici. Je le croise. »

La mort de Rosiana, disait-elle, avait divisé la communauté. « Au moins, s'ils arrêtaient quelqu'un, on saurait. Moi, j'ai des soupçons, mais je n'ai pas de preuve. Peut-être que ça ne vise même pas la bonne personne. Mais ça me fait mal chaque fois que je le vois. »

La voilà enfin exhaussée. Au printemps 2017, des nouveaux tests d'ADN ont été effectués. «Des avancées au niveau de la preuve par ADN et la qualité de la conservation de la preuve au fil des années ont permis d'établir de nouvelles concordances», explique Martine Asselin, porte-parole de la SQ. Jeudi, les enquêteurs ont procédé à l'arrestation de l'homme.

« La confiance et la collaboration de la famille [de la victime] ont été des incontournables dans la réussite de ce dossier » a tenu à souligner Martine Asselin, qui explique que les proches de Rosiana ont notamment facilité le déroulement des visites des enquêteurs dans la réserve.

Elle dit espérer que le dénouement de cette affaire donne espoir aux autres familles qui sont dans la même situation. « Les familles attendent tellement longtemps. Ça va donner espoir à d'autres familles. Chaque dossier évolue avec un rythme différent, selon la technologie et les éléments qui sont au dossier. »

En 2016, lorsque nous les avons rencontrés, les proches de Rosiana commençaient à perdre patience. « L'enquête est morte avec ma soeur », croyait Marylynn.

"Dans ces moments, comme parents, nous avons besoin de comprendre pourquoi. Nous avons besoin de soutient et j'espère que cela a été le cas pour [cette] famille", explique Michele Audette, commissaire de l'enquête nationale sur les femmes autochtones disparues ou assassinées, dont les audiences au Québec auront lieu a l'automne.

"Mes pensées vont à la famille, aux amies et aux gens de la communauté qui de cette jeune femme qui revivent à nouveau cette tragédie."

>>> Relisez notre dossier complet: Meurtre d'une jeune autochtone: qui a tué Rosiana Poucachiche?