Canada Alpin (ACA) admet que l'affaire Bertrand Charest a été mal gérée, mais ne prévoit pas ouvrir une enquête officielle sur les circonstances de son embauche par l'équipe nationale féminine junior en 1996 et de sa démission en 1998.

L'association sportive, qui a refusé toutes nos demandes d'entrevue depuis 2015, est sortie de son mutisme cette semaine dans le cadre d'une tournée médiatique. ACA dit avoir complètement revu ses pratiques. Au moins trois entraîneurs ont perdu leur certification à la suite de plaintes dans les dernières années.

Des entraîneurs licenciés

Dans les dernières années, « trois ou quatre » entraîneurs ont perdu leur certification parce qu'ils avaient fait l'objet de plaintes jugées sérieuses, selon Martha Hall Findlay, vice-présidente du C.A. de Canada Alpin.

Elle précise qu'il ne s'agit pas seulement de dossiers concernant des agressions sexuelles. Ces licenciements, dit-elle, sont le résultat direct d'un nouveau registre des entraîneurs qui permet à toutes les équipes de ski du Canada de faire une recherche sur la personne qu'elles s'apprêtent à embaucher et de faire inscrire des informations, criminelles ou non, à son sujet.

Elle assure qu'en 2017, un Bertrand Charest se retrouverait inévitablement avec un drapeau rouge au registre, même sans accusation criminelle. Vendredi, ACA n'était pas en mesure de nous donner le nombre exact d'entraîneurs ayant perdu leur permis ou les motifs des plaintes.

Est-ce que ACA savait?

Deux anciens entraîneurs de l'équipe nationale ont déclaré à La Presse le mois dernier avoir prévenu la direction du comportement de Bertrand Charest à l'égard de ses jeunes athlètes dans les années 90. Germain Barrette aurait sonné l'alarme en 1996.

Mitch Conner, en 1997. Selon eux, ACA savait à qui elle avait affaire. Vrai ?

Martha Hall Findlay, qui est en poste depuis 2013, a posé la question au responsable du développement de l'époque, Joze Sparovec.

« Il a dit non. Il n'a pas été prévenu. Est-ce que c'est à moi de dire que ce qu'un dit est vrai et l'autre non ? » Croit-elle M. Sparovec ? « J'ai besoin de le croire. » 

Pas d'enquête officielle

Plusieurs éléments entourant la gestion de l'affaire Charest restent nébuleux. Au-delà du « qui savait quoi », trois sources affirment à La Presse que Canada Alpin a fait signer en 1998 des décharges visant à dégager la fédération de toute responsabilité légale face à des victimes.

Mme Hall Findlay assure que le conseil d'administration a posé des questions aux gens de l'époque et a été rassuré. Elle ajoute qu'au moins une athlète aurait été encouragée à embaucher un avocat, ce qu'elle n'aurait pas voulu faire. L'organisme ne prévoit pas ouvrir d'enquête officielle sur le scandale.

« C'est clair pour moi que les gens qui étaient là à l'époque comprennent maintenant. Ils voient ce qui est arrivé. Je me demande si ce n'est pas plus utile de prendre tout ce qu'on a appris et de se concentrer à s'assurer que ce qu'on fait maintenant est le mieux que l'on puisse faire. »

Pourquoi n'a-t-on pas appelé la police?

En 1998, Canada Alpin n'a pas contacté la police après que ses dirigeants eurent découvert que Charest avait eu des relations sexuelles avec au moins trois skieuses. Pourquoi ?

« Mon impression, c'est que c'était vraiment juste si les familles avaient voulu porter plainte. Ç'aurait vraiment été la décision des familles. Parce que c'était tellement sensible, et on le voit. Ça a pris 20 ans [aux victimes pour porter plainte]. Il y en a plusieurs qui ont dit qu'elles n'avaient même pas parlé de ça avec leurs familles. Pour une organisation, de faire quelque chose comme ça sans les familles... non. Même maintenant. Ça a besoin de venir de la personne et de la famille. »

Regagner la confiance

« Est-ce qu'on peut dire que ç'a été bien géré ? Non. Est-ce qu'on peut refaire ce qui est arrivé il y a 20 ans ? Non. » Cette phrase, Martha Hall Findlay a bien dû la répéter 10 fois.

« Pour moi, l'important, c'est de savoir ce qu'on a appris de ça et si on continue à apprendre. La réponse est oui. Et c'est ça, l'important, parce qu'on veut assurer les athlètes, les parents que maintenant, oui, il faut nous faire confiance. » Mme Hall Findlay convient que la réputation de Canada Alpin a été sérieusement entachée par l'affaire Charest. Avec sa tournée médiatique, qui tombe au même moment que la fin du procès, l'organisation souhaite clairement réparer les pots cassés. « Maintenant que les témoignages sont terminés, la porte est ouverte pour les athlètes qui ont vécu ça et les entraîneurs. S'il y a des choses qu'on peut faire encore mieux, on a besoin de le savoir. »

Changements de pratiques

Beaucoup de choses ont changé depuis Bertrand Charest, assure Canada Alpin.

D'abord, les relations entre les entraîneurs et les athlètes sont strictement interdites, quel que soit l'âge. « Même un athlète de 26 ou 27 ans, c'est non. [S'il y a une relation], l'entraîneur est out. » Ensuite, dit Mme Hall Findlay, des formations sur la « complexité de l'environnement sportif » sont offertes aux athlètes, à leurs familles et aux employés. Aussi, les contrats que signent tous les skieurs expliquent la marche à suivre dans une situation où un adulte aurait un comportement déplacé. « Ça dit comment faire une plainte. Et que si quelqu'un voit quelque chose, il a l'obligation de parler. »

Mme Hall Findlay, elle-même une ex-skieuse de haut niveau, admet qu'il est encore difficile pour des femmes de porter plainte. « Ça doit nous encourager à les encourager, dit-elle. Oui, les attitudes changent. Est-ce qu'on peut encore changer en mieux ? Oui, je crois que oui. »