Pour la deuxième fois en sept mois, une opération visant à arrêter un individu de Montréal-Nord lié aux gangs de rue a été mise sur la glace la semaine dernière, a appris La Presse.

Le suspect, un homme de 28 ans, est soupçonné d'avoir ouvert le feu sur un membre influent d'allégeance rouge, Jean-Luc Sanon, vers 17 h 30 le 7 octobre dernier, dans la rue Lapierre. L'homme aurait tiré d'autres coups de feu dans la même rue le lendemain soir.

Trois télémandats auraient ensuite été signés pour perquisitionner dans la résidence et la voiture du suspect considéré comme armé, et pour le photographier pour présenter une « parade photos » à des témoins. Le Groupe tactique d'intervention (GTI) du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) était prêt à arrêter l'homme à sa sortie d'un immeuble de la rue Arthur-Chevrier, le 12 octobre, mais le feu vert, qui aurait auparavant été donné, aurait été annulé à la dernière minute.

La plupart de ces informations, d'abord fournies par un interlocuteur anonyme, ont pu être vérifiées par La Presse auprès d'autres sources qui nous ont confirmé qu'une opération du GTI avait été annulée à la dernière minute et que l'ordre serait venu du numéro 2 du SPVM, le directeur adjoint Didier Deramond.

« M. Deramond a dit qu'il ne voulait pas d'une nouvelle affaire Jean-Pierre Bony [tué par une balle de plastique tirée par un policier lors d'une frappe antidrogue à Montréal-Nord le 31 mars]. L'opération a été annulée pour la véritable raison que la direction ne veut pas provoquer d'événement à caractère racial à Montréal-Nord », affirme notre interlocuteur anonyme.

FAUX, RÉTORQUE LA DIRECTION

L'inspecteur-chef Gino Dubé, de la région Est du SPVM, confirme que trois mandats étaient en préparation, mais il dit qu'ils n'ont pas été approuvés. Il confirme aussi que le GTI était prêt à arrêter un individu le 12 octobre, mais il jure qu'il n'a jamais donné le feu vert et que l'annulation de la frappe n'a rien à voir avec les tensions dans Montréal-Nord. 

« Ce n'est pas vrai qu'on arrête une enquête pour ne pas aller dans Montréal-Nord. La police ne choisit pas où elle va intervenir ou non », assure Gino Dubé, inspecteur-chef de la région Est du SPVM.

L'inspecteur-chef ajoute que ce n'est pas le directeur adjoint Deramond qui a mis fin à l'opération mais lui-même, car il a demandé à ses enquêteurs de poursuivre leur enquête pour recueillir d'autres éléments de preuve. Reste que plus d'une semaine s'est écoulée depuis l'opération annulée et qu'un individu violent qu'on croit armé, qui a peut-être tiré à deux reprises, est toujours au large, a fait valoir La Presse.

« On a une victime qui n'est pas collaboratrice. Est-ce que les témoins ont bien vu ce qu'ils disent avoir vu ? Si on n'a pas d'élément qui nous assure que c'est bien cet individu qui a tiré, on fait quoi ? Une enquête parfois, c'est plus complexe que l'on pense. J'ai demandé aux enquêteurs de s'assurer que leurs informations étaient véridiques car dans mon livre à moi, on mettait la charrue devant les boeufs », ajoute-t-il.

« RELATIONS DE TRAVAIL TENDUES »

Depuis le 25 septembre, les anciennes escouades Gangs de rue et Stupéfiants des quatre régions du SPVM ont été fusionnées pour donner naissance au Service des enquêtes partagées, qui comprend trois sections : les crimes de violence, les enquêtes générales et une équipe projet. Ce changement suscite beaucoup de grogne et sape le moral de plusieurs enquêteurs, nous ont confié certains d'entre eux.

« On vit des relations de travail tendues, ce n'est pas facile. Il y a des mécontents. On brise des silos. On change des façons de faire. Ça plaît à certains, ça déplaît à d'autres », conclut l'inspecteur-chef Dubé.

Rappelons que, le 15 avril dernier, La Presse a révélé que la direction du SPVM avait interdit à des enquêteurs des stupéfiants de procéder à des arrestations à Montréal-Nord pour ne pas attiser les tensions raciales. Un article qui avait incité le chef Philippe Pichet à exprimer son mécontentement à ses troupes par courriel.

Pour joindre Daniel Renaud en toute confidentialité, composez le 514 285-7000, poste 4918, ou écrivez à l'adresse postale de La Presse.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, Archives LA PRESSE

Jean-Luc Sanon a été la cible de coups de feu le 7 octobre dernier dans la rue Lapierre, à Montréal-Nord.