La Gendarmerie royale du Canada a coupé l'une des principales têtes cracheuses de feu de l'hydre de la mafia montréalaise lors de l'opération Clemenza, hier. Mais une nouvelle tête est vraisemblablement prête à pousser, si ce n'est déjà fait.

«Avec le démantèlement de ces cellules majeures, c'est toute la structure du crime organisé italien à Montréal qui est ébranlée. Un démantèlement de ce niveau-là va amener de l'instabilité dans le milieu, c'est clair», a déclaré le surintendant Michel Arcand, responsable de la lutte contre le crime organisé à la GRC, lors d'une conférence de presse tenue au quartier général de la police fédérale.

Les deux cellules de la mafia ciblées hier, en particulier celle du défunt chef de clan Giuseppe De Vito, mort empoisonné au cyanure dans sa cellule du pénitencier de Donnacona l'été dernier, avaient pris une place importante ces dernières années, en particulier dans les secteurs Saint-Léonard, Rivière-des-Prairies, Saint-Michel et Laval.

Mais depuis le retour en force des Siciliens à la tête de la mafia montréalaise en 2013, les anciens lieutenants de De Vito, ennemi avoué des Rizzuto, étaient rentrés dans le rang et ne constituent plus aujourd'hui des adversaires des nouveaux dirigeants du crime organisé italien à Montréal, selon nos sources.

D'ailleurs, les quartiers Rivière-des-Prairies et Saint-Léonard, qui constituaient l'ancien fief de De Vito, sont déjà contrôlés par un nouvel homme fort qui a son protecteur à la nouvelle table de direction de la mafia, nous dit-on.

L'opération Clemenza n'en porte pas moins un dur coup à la mafia, mais si l'instabilité qu'elle provoquera inévitablement en vient à causer des conflits, il n'est pas certain qu'ils se dérouleront à des niveaux supérieurs, alors que les chefs de tout le crime organisé québécois sont engagés dans une alliance entre groupes pour favoriser les affaires et éloigner les projecteurs de la police.

Enquête historique

Clemenza est la plus importante opération antimafia au Québec, et peut-être même au Canada, depuis Colisée en 2006. Elle marquera les annales des affaires criminelles puisque la preuve repose en grande partie sur plus d'un million de messages NIP à NIP que les suspects ont échangés sur leurs appareils Blackberry durant deux ans et que les enquêteurs ont interceptés et décryptés.

Avec l'opération Clemenza, la police dit envoyer derrière les barreaux plusieurs individus très actifs et dangereux. «Ils étaient prêts à tout pour parvenir à leurs fins et avaient les moyens de leurs ambitions», a ajouté le surintendant Arcand.

La police croit avoir élucidé une série de crimes violents commis dans la période d'instabilité qui a suivi l'opération Colisée et l'affaiblissement du clan des Siciliens.

L'un des clous est assurément la découverte d'un véritable arsenal de guerre par les enquêteurs de la Division du crime organisé du SPVM en février 2011, alors que la mafia était encore en pleine effervescence.

Trafic de cocaïne et production et exportation de marijuana étaient les moteurs des activités de ce clan dont le chef lui-même, Giuseppe De Vito, aurait orchestré plusieurs complots pour faire entrer de la drogue et des téléphones cellulaires en prison alors qu'il se trouvait au centre de détention de Rivière-des-Prairies. Ce dernier aurait d'ailleurs été accusé s'il n'était pas mort assassiné.

Les suspects ont été accusés de 86 chefs allant de trafic de stupéfiants à possession d'armes, et d'incendies criminels à gangstérisme.

Les membres de l'Unité mixte d'enquête sur le crime organisé (UMECO) ont aussi bloqué deux résidences et deux comptes bancaires appartenant à des accusés, pour une valeur totale de 1,2 million.

Photo fournie par la GRC

Clemenza en chiffres

• 200 policiers

• 32 perquisitions

• 33 arrestations

• 1 individu recherché

• 12 armes, dont plusieurs mitraillettes

• 338 kg de cocaïne saisis

• Des centaines de kilos de haschisch saisis

• 2 serres hydroponiques démantelées

Photo fournie par la GRC

Quelques crimes élucidés

Prêts pour la guerre

Le 1er février 2011, les policiers du SPVM ont découvert une douzaine d'armes, dont plusieurs mitraillettes, y compris une sur trépied, des bâtons d'explosifs, des détonateurs et des gilets pare-balles dans un entrepôt de la rue Pascal-Gagnon. Ils ont ensuite diffusé des photos de suspects identifiés plus tard: Davide Barberio, Steven Cecere - le fils de la taupe de la GRC Angelo Cecere -, Hicham Kachouch et Vincenzo Scuderi. Ce dernier était l'homme de confiance de Giuseppe De Vito et a été tué en janvier 2013, dans la foulée de la reprise du pouvoir par les Siciliens. Il aurait été accusé pour l'arsenal s'il n'avait pas été assassiné.

Séquestré et maltraité durant une semaine

Huit des suspects arrêtés hier sont accusés d'avoir enlevé, séquestré, roué de coups et soumis à de l'extorsion un certain Peter Withmore entre les 31 mars et 8 avril 2011. L'enlèvement aurait été commandé par les frères Antonio et Roberto Bastone pour une importante dette d'argent. La victime a finalement été libérée.

Le feu aux poudres

Cinq des individus appréhendés sont accusés d'avoir comploté et allumé des incendies criminels dans deux cafés italiens, durant la deuxième vague d'incendies commis contre des établissements titulaires d'un permis d'alcool en 2011 à Montréal. Il s'agit du café Monte Cristo, ciblé le 14 janvier 2011, et du café Pigalle, visité par des incendiaires un mois plus tard, le 12 février.

Les acteurs connus

Alessandro Sucapane

49 ans

Il était l'associé et le lieutenant immédiat de Giuseppe De Vito et aurait pris sa place à la tête du clan

Il a été arrêté lors de l'opération Colisée et condamné pour complot pour importation de stupéfiants.

C'est durant son procès que ses avocats ont été espionnés par la GRC à la recherche d'une taupe dans ses rangs.

Il est accusé dans l'affaire de l'arsenal découvert dans un entrepôt de la rue Pascal-Gagnon.

Selon nos sources, après le retour des Siciliens à la tête de la mafia en 2013, Sucapane s'est rallié au nouveau pouvoir et siègerait même sur la nouvelle table de direction

Giuseppe Fetta

34 ans

Il a été arrêté dans l'opération Colisée.

Costaud et fort comme un cheval, il est un ancien membre de l'équipe de bras des Siciliens.

Il aurait déjà été le chauffeur de Jimmy Cournoyer, surnommé le «roi du pot» à New York, selon des documents judiciaires américains.

En 2008, au centre de détention de Montréal, il a été attaqué par quatre membres de gangs de rue dont il s'est débarrassé. L'un de ses assaillants avait sauté d'un deuxième étage, se blessant aux jambes.

Il a été sérieusement blessé par balles en décembre 2012 à Montréal.

Nicola Di Marco

45 ans

Il a été arrêté et condamné pour une affaire de maison de jeu démantelée lors d'un projet satellite de l'opération Colisée en 2008.

Il était le lien entre la mafia et la taupe de la GRC, le traducteur Angelo Cecere.

Il fait face à des accusations liées aux stupéfiants dans l'opération Clemenza.

La petite histoire de Clemenza

2009-2010

Dans le cadre d'une enquête contre des importateurs de drogue baptisée Cynique, les enquêteurs de la GRC constatent que des suspects communiquent avec Giuseppe Colapelle, un trafiquant de stupéfiants lié à la mafia. Ce dernier sera tué devant un café italien de la rue Langelier en mars 2012.

En s'intéressant à Colapelle, les enquêteurs réalisent que ce dernier est lié avec un jeune chef de clan du secteur Saint-Léonard, Vittorio Mirarchi, protégé du caïd Raynald Desjardins. Celui-ci apparaît également dans l'enquête, tout comme un autre chef de clan, Giuseppe De Vito. Leurs organisations, qui sont alliées, prennent de plus en plus de place au sein de la mafia montréalaise, alors que les Siciliens (Rizzuto) sont décimés par des attentats auxquels d'ailleurs elles ne seraient pas étrangères. La GRC vient de trouver les cibles d'une nouvelle enquête d'envergure: Clemenza.

L'enquête repose principalement sur une nouvelle avancée technologique majeure: les policiers de la GRC ont réussi à intercepter et à décrypter les messages NIP à NIP BlackBerry considérés jusque-là comme inviolables. Les sujets de l'enquête croient être à l'abri des indiscrétions et utilisent démesurément ce système de communication. De 2010 à 2012, la GRC interceptera plus de 1 million de leurs messages.

16 septembre 2011

Raynald Desjardins est victime d'une tentative de meurtre à Laval. Il soupçonne un autre chef de clan avec lequel il est en conflit: Salvatore Montagna. Les membres des groupes de Desjardins et de Vittorio Mirarchi s'activent sur leurs appareils BlackBerry, mais la GRC est aux aguets.

24 novembre 2011 

Montagna est tué à Charlemagne. La GRC a capté des messages qui seraient compromettants sur les BlackBerry des cibles de son enquête et les remet à la Sûreté du Québec, qui se penche sur le meurtre de l'aspirant parrain.

21 décembre 2011 

Raynald Desjardins, Vittorio Mirarchi et d'autres membres de leurs clans sont arrêtés et accusés du meurtre de Salvatore Montagna. Les policiers devaient agir pour empêcher d'autres crimes, mais ce grand coup complique tout de même la tâche des enquêteurs de Clemenza.

2012-2013 

Des enquêteurs de Clemenza doivent aider à préparer la preuve en vue du procès de Raynald Desjardins et de ses présumés complices. Puisque les principales cibles de l'enquête sont écrouées pour meurtre, les policiers doivent réajuster leur tir. Le procureur de la Couronne au dossier, Yvan Poulin, est nommé juge. Tant de facteurs qui retardent la frappe policière. Mais sur le terrain, les enquêteurs de la Division du crime organisé de la police de Montréal prennent la relève et démantèlent des réseaux de trafic de stupéfiants liés à Giuseppe De Vito.

12 juin 2014 

Les policiers mènent l'opération Clemenza, mais l'enquête n'est pas terminée pour autant.