Afin de contrer l'utilisation par les détenus de téléphones cellulaires, qui peuvent notamment servir à planifier des évasions, Québec avait demandé à Ottawa, en septembre dernier, de lui permettre d'avoir recours à des brouilleurs d'ondes dans ses prisons. Le gouvernement fédéral ne semblait pas chaud à l'idée.

Les cellulaires sont un fléau dans les prisons. Introduits illégalement, ils peuvent permettre aux détenus de communiquer avec leur famille, mais aussi de continuer à mener leur trafic à l'extérieur des murs. Des cellulaires auraient ainsi permis à Benjamin Hudon-Barbeau de planifier sa spectaculaire et brève évasion en hélicoptère de la prison de Saint-Jérôme, le 17 mars 2013, ont affirmé des sources à La Presse. Les évadés du week-end dernier à Québec pourraient aussi avoir eu des cellulaires à leur disposition.

Le nombre d'appareils saisis explose chaque année dans les prisons provinciales. Dans les pénitenciers fédéraux, 510 cellulaires ont été saisis entre 2008 et 2013.

Six mois après le coup raté de Saint-Jérôme, Sécurité publique Canada et le ministre conservateur Steven Blaney ont pris connaissance des demandes du ministre de la Sécurité publique d'alors, le péquiste Stéphane Bergeron, qui réclamait l'autorisation d'utiliser des brouilleurs d'ondes dans les prisons québécoises pour rendre inopérants tous les téléphones que pourraient posséder les détenus.

Les ondes cellulaires étant du ressort d'Industrie Canada, Québec ne pouvait décider unilatéralement de se doter de tels appareils.

La position d'Ottawa

La Presse a obtenu les notes fournies au ministre Blaney afin de répondre aux demandes de Québec, en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

Le ministre avait mollement affirmé que le gouvernement fédéral était lui aussi préoccupé par l'utilisation de téléphones cellulaires par les détenus ainsi que par les défis que représente l'utilisation des brouilleurs d'ondes (jamming devices, lit-on dans les documents rédigés en anglais).

Les documents remis au ministre rappellent que l'utilisation de ces appareils est interdite par la loi, mais que des organisations criminelles s'en servent pour brouiller les communications des policiers dans certaines situations.

On y lit que l'utilisation des brouilleurs d'ondes est autorisée deux fois par année en moyenne depuis 1996, en vertu d'exemptions à la Loi sur la radiocommunication permises par le gouverneur en conseil.

Les bénéficiaires de ces exemptions sont «la GRC et la Défense nationale afin d'assurer la sécurité lors d'événements majeurs ou la visite de chefs d'État», lit-on dans le document.

Plus loin, on indique que «les exemptions sont disponibles seulement pour des activités menées par des agents de la Couronne, ce qui exclut, par exemple, les autorités provinciales et les agents de la GRC dans la conduite de leurs enquêtes criminelles. L'esprit de la loi est de permettre des exemptions pour des périodes spécifiques et non récurrentes, ainsi que pour prévenir l'utilisation courante dans les pénitenciers fédéraux».

Des doutes à Québec

À Québec, la nouvelle ministre de la Sécurité publique n'est pas convaincue que les brouilleurs d'ondes sont une bonne solution.

«Les brouilleurs d'ondes, il y a beaucoup d'avis qui sont très partagés là-dessus. À partir du moment où on brouille les ondes, on brouille également les communications entre les différents agents des services correctionnels, les policiers qui viennent porter les prévenus et les détenus, la population qui vit dans l'entourage de la prison, alors que vous comprendrez que le vrai problème, ce sont les cellulaires qui rentrent à l'intérieur», a déclaré la ministre Lise Thériault, hier.

Hier également, le critique péquiste en matière de sécurité publique, Pascal Bérubé, a déposé une motion sans préavis sur le sujet qui a enflammé les débats à l'Assemblée nationale.

«Que l'Assemblée nationale demande au gouvernement fédéral qu'il autorise le recours aux appareils de brouillage d'ondes cellulaires dans les établissements de détention du Québec, ainsi que l'imposition de zones d'exclusion de vol aérien au-dessus de ces établissements», stipulait sa motion, qui n'a pu être débattue, faute de consentement de la majorité libérale.

- Avec la collaboration de William Leclerc et Tommy Chouinard