La mafia n'a toujours pas de parrain depuis la disparition soudaine de Vito Rizzuto, en décembre dernier. Une trêve solide persiste néanmoins au nom d'un «partenariat d'affaires» d'une ampleur jamais vue qui réunit à la même table toutes les grandes organisations criminelles, selon le grand patron de la Division du crime organisé de la police de Montréal. Parallèlement, la métropole connaît un début d'année parmi les moins meurtriers depuis des lustres.

2014, la moins sanglante des 20 dernières années?

Après huit ans de conflits qui ont fait des dizaines de morts et de blessés, la mafia montréalaise n'a pas seulement enterré la hache de guerre, en 2014; elle a conclu avec les autres groupes criminels des ententes qu'il aurait été impossible d'imaginer il y a 20 ans.

«Cela fait longtemps que les groupes criminels travaillent ensemble. Mais en 2014, c'est encore plus prononcé», dit François Bleau, commandant de la Division du crime organisé de la police de Montréal, dans une entrevue avec La Presse.

«Il n'est pas rare durant nos enquêtes de voir des personnes de plusieurs groupes ethniques différents, des motards et des membres de gang de rue assis à la même table. On parle maintenant de partenariats d'affaires dans un but commun: faire des profits. Et c'est sur ces alliances que repose cette accalmie.»

«Auparavant, on voyait toujours les mêmes gens se réunir dans le même restaurant italien, ou les motards déjeuner tous les jours dans un restaurant de la rue Ontario. Aujourd'hui, ils se connaissent moins et il n'y a plus ce lien sanguin ou ethnique. Ils sont plus jeunes, ils se rencontrent dans des lieux publics et neutres, et ils s'entendent autour d'un café», ajoute-t-il.

Depuis la mort de Vito Rizzuto, personne ne semble occuper son fauteuil de parrain, dit le commandant Bleau.

En revanche, selon des informations que n'a toutefois pas voulu confirmer l'officier, la mafia serait maintenant dirigée par une table de direction composée notamment du fils de l'ancien parrain, Leonardo Rizzuto. Cette table de la «nouvelle génération» formée majoritairement de Siciliens serait encadrée par leur ancien numéro 2, Rocco Sollecito, et appuyée par de puissants groupes criminels, dont les Hells Angels. Toute organisation qui veut faire des «affaires» dans la province doit leur verser sa part, nous a-t-on dit.

Les derniers individus toujours considérés par la police comme des ennemis des Siciliens sont en prison. Leurs derniers soldats encore sur leur terrain seraient rentrés dans le rang. Le commandant Bleau ne voit pas à court terme ce qui pourrait mettre le feu aux poudres, mais il n'exclut pas que cette accalmie prenne fin un jour.

«Je n'ai pas de boule de cristal, mais je dirais que, à court terme, les gens s'observent. Il y a un respect, des échanges, des alliances, et tout le monde en profite. Nous sommes vraiment dans une phase où personne n'a à gagner à prendre le flambeau. Mais si on regarde l'histoire, il survient toujours une confrontation à un moment donné lors du partage du pouvoir», anticipe le commandant Bleau.

On ne peut toutefois passer sous silence un autre événement pour expliquer cette accalmie et l'intérêt des groupes criminels à travailler ensemble: l'arrestation par les enquêteurs des crimes majeurs du SPVM de plusieurs membres du gang des Rouges accusés d'avoir tué les bras droits du caïd Raynald Desjardins et du chef de clan Giuseppe De Vito, et soupçonnés d'avoir pris part à d'autres événements violents avant et après le retour de Vito Rizzuto à l'automne 2012.

Depuis la disparition de ce dernier, certains n'excluent pas une mainmise de la mafia de l'Ontario ou de New York sur celle de Montréal, comme ce fut le cas à une certaine époque. Mais le commandant Bleau, lui, n'y croit pas.

«C'est sûr que les criminels d'ici veulent continuer de contrôler leurs choses. Toute personne qui voudrait changer cette stabilité sera vue comme une opposition, ce qui pourrait mener à des actions de contestation. Présentement, on ne voit pas ça sur notre écran radar à court terme», dit-il.

Et la police de Montréal a toujours l'oeil sur son écran radar. «Nous allons continuer d'être présents et suivre leur évolution. Les forces policières évoluent parallèlement elles aussi: nous menons des opérations plus régulièrement qu'il y a 20 ans, des escouades régionales mixtes ont été créées, nous avons des prêts et des partages de services, des échanges d'expertise entre corps de police. Les organisations criminelles changent leurs façons de faire et nous nous adaptons», conclut le commandant Bleau.