La crise à la Fondation Paul Gérin-Lajoie s'intensifie. Trois membres du conseil d'administration de ce pilier de la coopération internationale au Québec ont remis leur démission hier, dans la foulée d'une assemblée houleuse qui s'était prolongée tard, la veille.

Les tensions qui déchirent cette ONG, vouée à des projets éducatifs en Afrique de l'Ouest et en Haïti, ont éclaté au grand jour après que son président, François Gérin-Lajoie, eut écrit à une centaine de personnes, leur demandant de contribuer au financement de la campagne électorale de la députée sortante de La Pinière, Fatima Houda-Pepin.

Cette initiative, qui enfreint vraisemblablement la Loi électorale du Québec, a abouti sur le bureau du Directeur général des élections.

Mais le malaise à la Fondation PGL va bien au-delà de ce seul incident. Il concerne aussi la gestion de l'organisme qui administre un budget de plus de cinq millions, dont la majeure partie provient de subventions gouvernementales et de dons publics.

DÉPENSES DISCUTABLES

Selon des informations recueillies auprès de plusieurs sources, des employés et administrateurs s'inquiètent du manque de contrôle des dépenses qu'entraînent les nombreux voyages du président François Gérin-Lajoie. De septembre à novembre 2013, par exemple, celui-ci s'est rendu à trois reprises au Sénégal et dans quelques autres pays d'Afrique de l'Ouest. Ces missions ont coûté 33 000 $ et ont fait exploser le budget de voyages de la Fondation.

Celle-ci avait prévu une enveloppe de 30 000 $ pour l'année en cours, mais a dû absorber une facture deux fois plus élevée. Le président a fait d'autres voyages depuis, notamment à Paris et en Afrique.

Qui plus est, certains déplacements n'avaient pas été autorisés au préalable par le conseil d'administration et leur pertinence n'est pas toujours claire, soulignent nos sources.

François Gérin-Lajoie préside la Fondation depuis trois ans. Il est le fils de son fondateur, l'ancien ministre Paul Gérin-Lajoie, l'un des artisans de la Révolution tranquille. Âgé de 94 ans, celui-ci agit toujours comme président du conseil d'administration de l'organisme. La Fondation est réputée pour ses projets éducatifs et pour l'organisation de la célèbre dictée PGL.

Un avis juridique obtenu par un groupe d'administrateurs allait jusqu'à proposer de suspendre François Gérin-Lajoie, le temps d'une enquête indépendante sur sa gestion. « Compte tenu de la nature des actes posés par le président, compte tenu de l'état du droit, compte tenu des informations manquantes à l'égard de plusieurs aspects du dossier et compte tenu des conséquences liées aux agissements du président sur la Fondation et sur les membres du conseil d'administration, nous recommandons le relevé administratif de M. Gérin-Lajoie avec solde, pour fins d'enquête », concluent les experts consultés par le C.A.

LA DG RENVOYÉE

Mais mercredi soir, une majorité d'administrateurs ont plutôt décidé de montrer la porte à la directrice Nadja Pollaert, arrivée depuis peu au sein de l'équipe de la Fondation, et de demander à un vérificateur externe de scruter l'administration de cette ONG.

Le communiqué publié hier pour faire le point sur la crise passe ces décisions sous silence. Il se contente de « réaffirmer le caractère apolitique » de la Fondation, en réaction à l'article publié dans La Presse sur l'appui donné à Fatima Houda-Pepin.

Le communiqué assure par ailleurs que la Fondation PGL « entend poursuivre plus loin sa démarche en mettant en oeuvre un processus de planification stratégique ».

Catastrophés par le congédiement de Mme Pollaert, qu'ils jugent totalement injustifié, 3 des 17 membres du conseil d'administration ont décidé de rompre leurs liens avec la Fondation. Il s'agit de François Audet, expert en développement international à l'UQAM, de l'ancienne ambassadrice Anne Leahy et de la juriste Pascale Fournier, de l'Université d'Ottawa.

En optant pour une rupture du contrat avec la directrice générale, sans attendre le résultat d'une enquête indépendante, le C.A. « manque à son devoir d'intégrité et d'impartialité », dénoncent les démissionnaires dans une lettre justifiant leur geste. Ils reprochent à leurs collègues majoritaires au C.A. la manière dont ils ont géré cette crise.