«La dernière fois que je l'ai vu, j'ai dit à mon conjoint que je commençais à avoir peur de lui. Je n'aurais pas voulu qu'il vienne ici quand j'étais seule.»

Sandra Fernandes connaît très bien Michel Duchaussoy. Pendant une douzaine d'années, elle et son mari l'ont embauché dans le verger familial de Mont-Saint-Hilaire.

Elle garde le souvenir d'un homme acharné, au travail irréprochable.

«On a pu compter sur lui. Il a travaillé comme peu d'hommes l'auraient fait. Il était ici par périodes. Il assistait mon conjoint et travaillait dans le champ. Il faisait de la gestion des employés, les plaçait dans le champ, il répondait à des clients. On n'a rien eu à lui reprocher. Il a toujours été là quand on avait besoin de lui, sept jours sur sept», poursuit la femme.

Elle va plus loin. Pour elle, il était une sorte de protecteur.

«Je n'ai jamais eu peur de lui, même dans le verger, j'étais contente de l'avoir à côté de moi, parce qu'on avait du drôle de monde parfois, comme des anciens détenus. Vous savez, on embauche des travailleurs occasionnels au temps des récoltes. Il était très protecteur et gardait toujours un oeil sur les enfants et sur moi», raconte-t-elle.

À l'automne 2012, après avoir vendu leur verger, ils ont recommandé à une autre propriétaire de pommiers du coin, Dolorès Bollulo, de l'embaucher.

«Sa femme venait de retourner en Tunisie. Il venait de revenir dans le coin. Il habitait à Saint-Jean-Baptiste et venait travailler en vélo. Il travaillait très bien. Il n'a jamais eu de comportement déplacé. Il était tout doux, comme un agneau. C'est dommage qu'il ait tourné comme ça, si c'est bien lui qui a fait ça. Si vous l'aviez connu, vous lui auriez donné le bon Dieu sans confession», raconte Mme Bollulo.

Les deux femmes s'entendent pour dire que le moral de l'homme dépérissait gravement depuis un an et qu'il avait parfois un comportement étrange. Mais jamais elles n'auraient cru qu'il puisse commettre un geste violent comme celui dont il est accusé.

«Son attitude a changé depuis un an. Il s'est mis à nous demander de l'argent et toutes sortes de services, comme aller le chercher quelque part. Mon conjoint refusait, on voyait que ce n'était pas pour manger. D'après moi, il avait recommencé à prendre de la drogue. Il nous relançait aux 15 jours. Mais il était gentil et ne nous a jamais menacés», poursuit-elle.

Sauf la dernière fois, deux semaines avant le meurtre.

«Il était fébrile, il avait vraiment besoin de cet argent. Il était désespéré», estime-t-elle.

La femme avec qui il était marié depuis trois ans était repartie en Tunisie un an plus tôt.

«Il nous a dit que c'était pour s'occuper de son père. Ça devait durer des semaines, mais ça a duré des mois. Ça le chagrinait beaucoup qu'elle soit partie. Elle a aussi travaillé pour nous. Ils s'aimaient beaucoup», conclut-elle.

Dans les derniers mois, Dolorès Bollulo avait offert un nouveau boulot à Michel Duchaussoy. Il était concierge d'un immeuble qu'elle possède, avenue Darlington, dans Côte-des-Neiges, à Montréal. En échange, elle lui fournissait son appartement.

Mais l'automne dernier, elle l'a congédié. «Il semblait moins à son travail. J'ai des locataires, le corridor doit être nettoyé. Je lui avais donné des avis écrits. Il était un peu perdu depuis qu'il avait quitté Mont-Saint-Hilaire. Et son épouse était revenue», raconte la femme.

«Je suis allé le voir pour lui dire qu'il devait déménager. Sa femme disait qu'il n'était pas bien», se remémore-t-elle, la voix tremblante. Deux mois plus tard, la vie de Michel Duchaussoy basculait. Et celle du chauffeur de taxi Ziad Bouzid prenait fin brutalement, dans une rue du quartier Côte-des-Neiges.

La vie de Duchaussoy marquée par la violence et l'abandon

La vie n'a pas été facile pour Michel Duchaussoy.

Il a passé les premières années de sa vie à Saint-Pierre, aujourd'hui partie de l'arrondissement montréalais

de Lachine.

Les trois soeurs et trois frères Duchaussoy ont peu connu leur père, Fernand Duchaussoy.

«Nous avons eu une enfance normale, mais nous n'avions aucun contact avec notre père», a indiqué un membre de la famille qui préfère ne pas s'identifier.

En 1984, alors que Michel Duchaussoy était adolescent, son père a assassiné sa compagne d'alors, à Trois-Rivières.

Il a subi un procès, pendant deux semaines, avant de finalement plaider coupable et d'être condamné à la prison à perpétuité.

«Je m'en souviens très bien, c'est la seule fois que j'ai vu ça, un accusé plaider coupable après deux semaines devant le jury, alors qu'il avait une défense valable de trouble mental à faire valoir», raconte l'avocat qui a représenté Fernand Duchaussoy à l'époque, Me Jean-Pierre Rancourt.

«Son frère avait payé les frais d'avocats, il n'était donc pas en difficulté de ce côté, on croyait avoir une bonne porte de sortie avec une opinion psychiatrique solide. Le médecin considérait qu'il souffrait de schizophrénie», poursuit Me Rancourt.

En 1991, Fernand Duchaussoy a été trouvé sans vie après s'être pendu avec ses lacets de chaussures, au pénitencier de Cowansville. Dans le rapport du coroner sur sa mort, on apprend qu'au cours de son incarcération, il a été envoyé pendant un temps à l'institut Pinel. Il était «traité à cet endroit pour psychose», écrivait alors le coroner Paul-Eugène Roy.

Quant à son fils Michel, la plupart des membres de sa famille l'ont écarté de leur vie depuis plusieurs années. Une cousine raconte avoir pris ses distances «depuis un bon moment» et souligne qu'il y avait «de la schizophrénie et de la violence dans son entourage».

«Michel a déjà fait une tentative de suicide il y a longtemps. Il avait été hospitalisé un bout à l'hôpital psychiatrique Douglas», raconte un de ses frères.

«Plusieurs personnes dans la famille ne veulent plus de contact avec lui. Je n'ai pas eu de ses nouvelles depuis des années. Ce qu'il a peut-être fait ne m'intéresse pas. C'est une personne qui n'était pas sur terre. Tout était pour lui superficiel. Il courait après les gamiques. Il consommait de la drogue et quêtait de l'argent. Il a été dans les plantations de pot, les petits vols.»