Pour les victimes d'agression sexuelle, le plus difficile, c'est de briser le silence. Surtout quand l'agresseur est le père ou le beau-père. Voici l'histoire troublante d'Isabelle*, une jeune femme à qui on a volé l'enfance.

«L'effet Nathalie Simard» aura été de courte durée

Isabelle est trop jeune pour avoir écouté Le village de Nathalie. La chanteuse n'était pas son idole.

Il y a 10 ans, quand la nouvelle de l'arrestation de l'imprésario Guy Cloutier faisait la une de tous les journaux, elle a regardé distraitement.

Mais un an plus tard, lorsque Nathalie Simard a donné sa première entrevue où elle racontait avec courage les agressions que son ex-imprésario lui a fait subir, Isabelle a écouté.

«J'avais 20 ans. En voyant ça, je me suis demandé pour la première fois, est-ce que je devrais dénoncer mon père à la police?»

En apparence, la famille d'Isabelle était parfaite. Son frère et elle étaient toujours bien habillés. Sa mère restait à la maison pour s'occuper d'eux. Son père avait un bon travail, des tonnes d'amis. Ils voyageaient tous ensemble à l'occasion.

Mais d'aussi loin qu'elle se rappelle, il a abusé d'elle.

«L'autre jour, j'ai changé la couche du fils d'une amie et j'ai eu des flashbacks. J'avais beau me raisonner, je n'arrivais pas à le toucher», dit la jeune femme qui a aujourd'hui 31 ans.

Deux fois dans son enfance, son père l'a amenée à l'hôpital. «Mon père disait que je m'étais rentrée des jouets dans le vagin. Il m'a toujours fait sentir comme l'agresseur.»

Son père n'épargnait ni sa mère ni son frère. Sa mère avait trop peur pour le dénoncer. «Elle me disait que si j'en parlais, la DPJ allait m'amener ou encore que j'allais être enfermée dans une cave.»

Quand Isabelle protestait, son père lui répondait: «T'aimes ça.» Et si elle continuait, il disait: «Ça va être pire ailleurs.»

De l'aide d'une enseignante

Au secondaire, une enseignante l'a prise sous son aile. Jamais elle ne lui a posé de questions. Elle l'hébergeait parfois la fin de semaine. «Je ne sais pas pourquoi elle ne me l'a jamais demandé, elle devait bien le sentir», se questionne-t-elle aujourd'hui.

L'été de ses 16 ans, Isabelle a claqué la porte. Débrouillarde, elle s'est trouvé un logement dans une autre ville. Elle a poursuivi ses études. Son frère est venu la rejoindre dès qu'il a eu 16 ans à son tour. Leur mère, qui était mariée depuis 25 ans, les a imités. Elle est partie un matin, à pied, sans bagage. Comme si ses enfants lui avaient donné le courage qui lui avait manqué pendant toutes ces années.

Le passé d'Isabelle l'a vite rattrapée. Elle a développé des troubles alimentaires, de l'anxiété. Elle s'est mise à boire. Elle a souvent pensé au suicide pour que tout ça s'arrête.

Au fil des ans, elle a cumulé les thérapies. Mais jamais elle n'arrivait à parler de ce que son père lui avait fait. En mai dernier, 15 ans après avoir fui l'horreur, elle a cogné à la porte d'un CALACS, un centre d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel.

En contact malgré tout

Aussi étonnant que ça puisse paraître, Isabelle a quand même longtemps gardé contact avec son père. En 2007, elle l'a confronté. Il lui a répondu: «Je ne me souviens de rien. Si jamais je t'ai fait mal, je m'excuse.»

Même si elle y a songé pour la première fois il y a 10 ans, Isabelle ne l'a pas dénoncé à la police. «Je ne me sens pas assez forte», dit-elle, des sanglots dans la voix.

«Je l'aime encore, même s'il n'y a aucune raison de l'aimer.»

*Son nom a été changé pour préserver son anonymat.

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