Le syndicat des ingénieurs de la Ville de Montréal ne veut pas être responsable de la défense de Luc Leclerc, cet ancien ingénieur corrompu qui a avoué avoir reçu plus de 500 000 dollars en pots-de-vin des entrepreneurs.

Le Syndicat des professionnels et des scientifiques à pratique exclusive de Montréal (SPSPEM) vient de présenter une demande en ce sens à la Cour supérieure.

C'est que le 27 mars dernier, la Ville a tenté une démarche peu commune dans l'espoir de récupérer l'argent des pots-de-vin empochés par son ancien ingénieur: elle a déposé un grief patronal réclamant 550 000$ à l'ancien syndiqué en traitant l'affaire comme un litige ordinaire de relations de travail soumis à un arbitre de griefs dans le cadre de la convention collective.

Devoir de défense

Cette façon de faire place le syndicat dans une position délicate. Car lorsqu'un employeur dépose un tel grief, le syndicat a le devoir de représenter le syndiqué qui a payé ses cotisations et de défendre ses droits pendant le processus d'arbitrage.

Or, le syndicat ne veut pas se retrouver avec de tels cas sur les bras. Il préférerait que la Ville règle ses comptes personnellement avec Luc Leclerc, par exemple au moyen d'une poursuite civile à son endroit.

«Les actes reprochés à M. Leclerc, les pots-de-vin et les commissions secrètes, sont des actes de nature criminelle dont les conséquences et les produits sont encadrés par un autre régime législatif que celui des relations collectives de travail», plaide le syndicat dans sa requête.

Le SPSPEM ajoute que Luc Leclerc a pris sa retraite et n'est plus membre du syndicat depuis 2010. Il conteste donc la compétence de l'arbitre de griefs dans cette affaire et demande à la cour de décréter qu'il ne peut s'en occuper.

«Décider autrement serait ouvrir une boîte de Pandore et faire porter une épée de Damoclès aux syndicats quant à la portée de leur devoir de représentation à l'égard d'ex-membres», affirme la requête.

La Ville a déjà précisé qu'elle multiplierait les tentatives pour se faire rembourser et que le grief n'était que l'une d'elles.

Il veut l'immunité

Par ailleurs, la requête révèle que Luc Leclerc a déjà avisé officiellement l'arbitre de griefs qu'il compte réclamer l'immunité quant à son témoignage devant la commission Charbonneau, pour éviter que ses aveux soient retenus contre lui.

Dans son témoignage à la Commission, Luc Leclerc a avoué avoir reçu plus de 500 000$ en pots-de-vin des entrepreneurs qui faisaient affaire avec la Ville. Il a aussi dit avoir profité d'un voyage payé en République dominicaine, où il a joué au golf avec Vito Rizzuto, le parrain de la mafia.

Sans compter les cadeaux comme des parties de ho-ckey, du vin ou même un jambon offert par Construction DJL.

Cinq entrepreneurs ont aussi fait des travaux gratuitement dans sa résidence personnelle.

En échange, il autorisait notamment d'importants dépassements de coûts sur les chantiers municipaux.

Ce qu'il a dit à la commission Charbonneau

«On était de la pâte à modeler pour les entrepreneurs qui voulaient nous corrompre.»

«Au fil des ans, il y avait des choses que je faisais qui n'étaient pas correctes, mais que je passais automatique parce que je savais que si j'en parlais à mon boss, ça allait passer.»

«Ç'aurait été très difficile de me pincer. Je pense que j'étais assez bon [pour favoriser les entrepreneurs].»

«On vous donne 500 000$ et essayez de le dépenser. C'est pas facile. C'est un cadeau empoisonné [les pots-de-vin].»

Source: témoignage de Luc Leclerc à la commission Charbonneau