Sarto Berthiaume, 63 ans, l'un des deux chefs du «clan des narcotorpilles», restera derrière les barreaux. On a refusé vendredi la demande de libération du résidant de Pointe-Calumet, dont l'organisation avait importé des centaines de kilos de cocaïne dans des tuyaux fixés à des coques de navires il y a une dizaine d'années. L'audience de vendredi a toutefois permis d'en savoir plus sur le trafic que gérait ce criminel. Notre journaliste raconte comment la GRC avait à l'époque réussi à lui mettre la main au collet et à arrêter parallèlement d'autres importateurs de drogue qui utilisaient des voiliers pour transporter leur cargaison.

«Moi, j'étais celui qui parlait avec les contacts là-bas, car je parle espagnol. Le reste, c'est Gilbert qui s'en occupait», a expliqué aux commissaires Sarto Berthiaume, qui purge depuis 2007 une peine de 12 ans de prison pour importation de cocaïne. Gilbert, c'est Gilbert Kelly, son ami et associé de longue date, toujours recherché depuis l'opération Cubain, qui a décapité leur organisation en décembre 2006.

Au début des années 2000, les deux hommes ont mis au point un ingénieux système pour importer au Canada de la cocaïne en provenance de la Colombie. Leurs contacts dans ce pays ciblaient des navires, de préférence des charbonniers ou des pétroliers, qui se rendaient régulièrement au Canada. Durant la nuit, des plongeurs fixaient des tuyaux ou des cages en forme de torpille dans une prise d'air ou sous les stabilisateurs de la coque, sous la ligne de flottaison de ces bateaux.

Lorsque ceux-ci, arrivés au Canada, accostaient au port de Belledune, au Nouveau-Brunswick, ou dans un port du Québec, Kelly et Berthiaume envoyaient une équipe de plongeurs, payés 100 000 $ chacun, pour récupérer la drogue.

Devant les commissaires Michel Lalonde et Gilles Roussel, Berthiaume a admis que le stratagème avait fonctionné à trois reprises, en 2003 et 2004, pour des importations totales de 230 kilos de cocaïne, avant que la GRC découvre le pot aux roses.

«Mon rôle était de rencontrer deux contacts que nous avions dans le pays producteur. Ensuite, je versais l'argent à certains de leurs parents ou de leurs proches qui vivaient ici, un premier versement avant l'importation et un autre après. On achetait le kilo 3000 $ et on le revendait entre 25 000 et 30 000 $. Chaque fois que je faisais un profit, je le réinvestissais pour faire un plus gros profit la fois d'après. Mais il n'y a jamais eu de fois d'après et je n'ai jamais fait d'argent avec ça», a-t-il dit aux commissaires.

La guigne

Les choses ont en effet commencé à moins bien aller pour Kelly et Berthiaume à compter de l'automne 2004. Un cargo muni de l'une de leurs «torpilles», le Peljesac, qui avait quitté la Colombie, est arrivé au port de Belledune, mais les plongeurs ont été incapables de récupérer la drogue en raison de la mer agitée. Ils croyaient pouvoir se reprendre au port de Sept-Îles, où le bateau devait ensuite faire escale, mais une grève a éclaté, minant leur projet. En octobre, le navire est donc tout simplement retourné à Puerto Bolívar, en Colombie, où la police a trouvé la drogue. Elle a alerté les autorités canadiennes, qui n'étaient toutefois pas encore convaincues que la drogue était destinée au Canada. Mais à peine un mois plus tard, les doutes se sont dissipés. Grâce à une caméra sous-marine - et vraisemblablement à un bon tuyau - , les agents des services frontaliers ont découvert une torpille contenant plus de 50 kilos sur la coque d'un navire battant pavillon croate, le Konavle, dans le port de Belledune.

La Gendarmerie royale du Canada (GRC) a alors amorcé une enquête, baptisée Cubain, et recruté un agent civil d'infiltration qui était un client de Kelly et Berthiaume. Mais ce nouveau collaborateur travaillait également pour un autre réseau de Québec qui importait de fortes quantités de cocaïne sur des voiliers. La GRC a donc décidé de cibler ces derniers dans un autre projet d'enquête simultané, appelé Cabernet, et de déclencher une opération digne des meilleurs films de James Bond.

L'odyssée d'Ulysse

C'est ainsi que l'agent d'infiltration a présenté aux trafiquants de Québec un capitaine de navire qui était en réalité un agent double de la GRC. Ce dernier avait son voilier de 50 pieds et son équipage de 11 membres, appartenant également à la police fédérale. «Le policier pilote du voilier avait la formation et les connaissances d'un capitaine. Quant aux matelots, tous les policiers de la GRC doivent suivre une formation de base pour embarquer sur un navire», explique le sergent d'état-major André Potvin, responsable à l'époque des projets Cubain et Cabernet.

Les trafiquants, qui n'y ont vu que du feu, ont envoyé l'équipage des limiers récupérer une cargaison de 500 kilos dans les Caraïbes. Le transfert de la drogue, entre le navire des fournisseurs de la cocaïne et le voilier des policiers, devait se faire en pleine mer, à environ 30 milles nautiques de Sainte-Lucie. Les policiers ont fourni les coordonnées GPS du lieu de rendez-vous aux trafiquants.

Mais à trois reprises, les policiers ont pris la mer et en sont revenus bredouilles. Deux fois ils sont demeurés plus de 38 et 15 heures sur les flots agités. «Ça prenait de six à dix heures pour se rendre au lieu de rendez-vous. Chaque fois, on s'est fait brasser par des vagues de 18 à 20 pieds. Sur 12 policiers, nous étions seulement 3 à ne pas avoir été malades», se rappelle le sergent Potvin, qui était du voyage.

Après trois sorties infructueuses, jouant leur rôle de bandits jusqu'au bout, les faux matelots ont mis de la pression sur l'organisation criminelle pour que la livraison ait lieu. Celle-ci ne s'est jamais concrétisée, mais la preuve était suffisante pour que les enquêteurs arrêtent une vingtaine de personnes du groupe de Kelly et Berthiaume et de l'autre organisation le 7 décembre 2006.

«C'est très rare que l'on mène deux enquêtes de front avec le même agent civil d'infiltration. C'est l'une des plus belles de ma carrière. Elle est dans mon top 5», conclut André Potvin.

Les causes du refus

À plusieurs reprises, Sarto Berthiaume a été surpris avec des produits du tabac interdits dans les pénitenciers. Les autorités le soupçonnent d'avoir fait le trafic du tabac à l'intérieur des murs, ce qu'il nie. «Nous avons quelqu'un qui continue de briser les règles et qui le fait depuis 40 ans», ont conclu les commissaires, qui ont refusé de le libérer. Berthiaume sera libéré d'office dans 10 mois.

Photo fournie par la GRC

Selon la GRC, Gilbert Kelly pourrait se trouver dans l'île de Margarita au Venezuela.

Photo fournie par la GRC

Les agents des services frontaliers ont découvert une torpille contenant plus de 50 kilos de cocaïne sur la coque d'un navire battant pavillon croate, le Konavle.

Cubain et Cabernet en chiffres

> Une vingtaine d'arrestations

> Une centaine de policiers

> Plus de 20 perquisitions

> Plus de 100 000 $ saisis

> Recherché: Gilbert Kelly, 69 ans

> Accusé d'importation de cocaïne

> Pourrait être dans l'île de Margarita, au Venezuela, selon la GRC

> Ses dernières traces découvertes au Mexique

> A une santé fragile

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