Chiheb Esseghaier et l'homme présumé être son complice dans une affaire de complot contre un train de Via Rail auraient été filmés, pendant la nuit, en train de rôder près d'un pont qu'ils projetaient de faire exploser, a appris La Presse.

On en apprend chaque jour un peu plus sur les activités de celui qu'on soupçonne de terrorisme, interpellé en douceur le 22 avril 2013 par des agents de l'Équipe intégrée de la Sécurité nationale.

Selon certaines sources, il existerait des images du Montréalais alors qu'il effectuait ce qui semblerait être un repérage sur la voie VIA Rail-Amtrak reliant Toronto à New York.

Lors de son arrestation, les informations qui avaient filtré laissaient entendre que le duo avait pris pour cible le Wirlpool Rapids Bridge, qui enjambe la rivière Niagara.

Leur plan machiavélique aurait consisté à faire exploser le convoi à cet endroit afin de précipiter les voitures remplies de passagers une centaine de mètres en contrebas.

Le principal intéressé se montre avare de commentaires sur les gestes qui lui sont reprochés et ses préparatifs, mais il ne nie pas. Des détails insignifiants à ses yeux, comparativement à la situation en Irak ou en Afghanistan, a-t-il répliqué en entrevue avec La Presse.

Me John Norris, l'avocat de Raed Jaser, soupçonné d'être son complice, n'a pas souhaité discuter non plus de la «nature de la preuve reçue».

Même mutisme à la police du CN, propriétaire de la voie ferrée visée par le complot présumé, et chez VIA Rail. Chez cet exploitant, on se borne à dire qu'il y a «certaines mesures de sûreté sur le réseau pas toujours visibles».

École avisée par la police

Ce doctorant montréalais à l'Institut national de recherche scientifique (INRS), spécialiste des nanosenseurs, invité dans des colloques partout dans le monde, y compris aux États-Unis, menait une vie de sans-abri dans les semaines qui ont précédé son arrestation au McDonald's de la Gare centrale, à Montréal.

Une de ses dernières visites à l'INRS à Varennes remonte à janvier 2013, à l'occasion de son examen doctoral. La direction de l'INRS savait déjà depuis plusieurs mois que leur établissement était concerné par une enquête de sécurité nationale. Les policiers les avaient questionnés et avaient demandé leur collaboration, mais il semble que le nom de la cible ne leur avait pas été communiqué.

Jusqu'en décembre 2012, Chiheb Esseghaier logeait dans un modeste appartement du boulevard Rosemont. Il mettait à rude épreuve les nerfs de ses voisins, et même ceux de son colocataire maghrébin. Ce dernier, excédé, avait fini par claquer la porte. Puis, son propriétaire l'a expulsé.

Esseghaier est alors devenu un «sans domicile fixe», malgré le soutien financier significatif dont il bénéficiait de la part de l'INRS et qui, en théorie, devait lui éviter de travailler en marge de ses études.

Lorsqu'il était à Montréal, il passait beaucoup de temps dans le métro, devenu même son gîte, ce qui compliquait la tâche des équipes de filature. Même s'il donnait parfois l'impression de se moquer d'elles.

Il ne se séparait jamais de son ordinateur portable, profitant des zones de wi-fi gratuit.

C'est son comportement de plus en plus erratique et imprévisible qui a provoqué son arrestation. D'autant plus que la Gendarmerie royale du Canada semblait manquer cruellement de moyens pour le surveiller en permanence, a-t-on appris à l'époque.

Mosquée fondée par Jaziri

Très croyant, Esseghaier fréquentait particulièrement la mosquée al-Qods, rue Bélanger Est. Lors de son arrestation, c'est un lieu de prière de l'avenue Van Horne qui avait plutôt été nommé.

La mosquée al-Qods est bien connue pour avoir été créée et dirigée par l'imam Said Jaziri, par l'entremise de son Association coranique de Montréal.

Jaziri a été expulsé vers la Tunisie en 2007 à cause de ses antécédents criminels de violence en France, qu'il avait dissimulés aux agents canadiens de l'immigration.

L'imam Jaziri a été arrêté aux États-Unis en 2011 pour immigration illégale. Son projet était de se rendre au Québec, où résident toujours sa femme et son fils.

Aujourd'hui, il dirige Errahma, un parti salafiste pro-charia en Tunisie.

L'Association coranique de Montréal est toujours propriétaire de ce bâtiment évalué à 1,5 million par la Ville de Montréal.

Chronologie des évènements

Août 2008

Chiheb Esseghaier, mi-vingtaine, commence ses études doctorales à l'Université de Sherbrooke. Dans les entrevues qu'il a accordées à La Presse, il relate qu'il ne portait pas la barbe à cette époque et que l'islam prenait beaucoup moins de place dans sa vie. Il vient d'arriver de Tunisie.

Novembre 2010

Esseghaier dit avoir changé d'université après un conflit avec son directeur de thèse. L'Institut national de recherche scientifique (INRS) l'accueille à l'automne 2010. L'accusé étudiera et travaillera notamment sur un campus de l'établissement basé à Varennes.

Décembre 2012

L'homme dit avoir quitté le Québec à cette date pour déménager à North York, en Ontario. Raed Jaser, soupçonné d'être son complice, travaillait dans cette ville et a été arrêté dans une entreprise de la région en même temps que lui.

22 avril 2013

Chiheb Esseghaier est appréhendé par la police à la Gare centrale de Montréal. Selon des témoins de la scène, il utilisait son ordinateur dans un restaurant McDonald's au moment des faits.

23 septembre 2013

Dernière comparution de Chiheb Esseghaier devant la justice ontarienne. Comme il l'a fait à plusieurs reprises dans les derniers mois, l'accusé a affirmé qu'il continuait à se chercher un avocat qui le défendrait sur la base du droit coranique.

- Philippe Teisceira-Lessard