Analyse. En permettant la semaine dernière que les informations contenues dans les banques de données confidentielles de la police soient versées dans les superprocès SharQc, le juge Martin Vauclair, de la Cour supérieure, risque-t-il de bousculer la suite des plus importantes procédures entamées contre une organisation criminelle dans l'histoire du pays? Même si on ignore si la poursuite obtempérera ou portera le jugement en appel, il est clair que cette décision a déjà d'énormes répercussions.

D'abord, sur le travail des policiers. Depuis quelques jours, ils se grattent la tête à la recherche d'une nouvelle façon de compiler et de partager les renseignements reçus sur les criminels, mais surtout de protéger leurs sources - qui ont déjà été échaudées une première fois lors de l'affaire Davidson, en 2011.

Mais aussi sur les superprocès en tant que tels. Même si la poursuite répond au juge dans les délais fixés, qui sont août et octobre prochains, il est à prévoir que les avocats aguerris de la défense trouveront ici un nouvel os à ronger, qu'ils ont eux-mêmes déterré. Il ne faudra donc pas s'étonner si ce rebondissement provoque de nouveaux délais - et c'est là que le bât pourrait blesser.

Respect du calendrier

En libérant 31 accusés, en mai 2011, en raison des délais déraisonnables, le juge James L. Brunton a sonné la fin de la récréation et fixé un échéancier de cinq procès - un pour chacune des cinq sections des Hells Angels. Le premier, qui concerne la section de Sherbrooke, devait débuter devant jury en juin 2011 (et être terminé en juin 2013); le dernier, celui de Montréal, doit commencer en juin 2015.

Il n'est plus très loin le temps où il ne sera plus possible de respecter ce calendrier.

On peut donc se demander si le juge Brunton ou un autre ne rendra pas éventuellement une autre décision massue qui élaguera une nouvelle fois le nombre d'accusés, pour ne garder que ceux contre lesquels il existe une preuve directe des meurtres.

Car il y a d'autres facteurs à considérer dans l'équation.

Les accusés sont détenus en vertu de l'ancienne loi, de sorte qu'ils ont déjà purgé plus de huit ans de prison en détention préventive.

Même s'ils ne sont pas encore officiellement commencés, les superprocès ont déjà coûté 10 millions aux contribuables - la plupart de cette somme en frais d'avocats, a révélé le Journal de Montréal il y a quelques mois.

On peut également se demander si le jury sélectionné sera encore valide un an plus tard, lorsque le premier procès débutera, en septembre dans le meilleur des scénarios.

Depuis le début du processus judiciaire, plus d'une vingtaine de Hells Angels et de leurs sympathisants ont plaidé coupable à une accusation réduite de complot pour meurtre. Et il ne faudrait pas se surprendre si la décision du juge Vauclair relance des discussions sur de possibles règlements.

À ce sujet, la pression n'est pas que sur la poursuite. Elle est également ressentie par les accusés. Les absents ont toujours tort et, en coulisse, on entend que certains membres de la relève des Hells Angels sur le terrain commencent à croire qu'ils sont capables de se débrouiller sans leurs patrons.

Un avenir pas très éloigné nous dira quels impacts aura le jugement Vauclair.

Une chose est sûre, il vient de clouer le cercueil des superprocès et des gigantesques opérations à 150 accusés au Québec.