Son amitié avec le caïd Raynald Desjardins pourrait avoir coûté cher à Juan Ramon Fernandez, alias Joe Bravo, ancien homme de main de Vito Rizzuto dont le corps criblé de balles et carbonisé a été découvert la semaine dernière en Sicile.

En entrevue avec La Presse, le commandant d'une escouade spéciale de carabiniers, dont les hommes ont arrêté 21 personnes liées à la Cosa Nostra la semaine dernière, a déclaré que Fernandez a parlé abondamment de Raynald Desjardins avec des individus de Montréal dans des conversations récentes captées durant l'enquête.

«Nous avons entendu le nom de Desjardins plusieurs fois. Lorsqu'il en parlait, Joe Bravo en parlait en bien et l'appelait compare [parrain]», a indiqué le lieutenant-colonel Fabio Bottino, de l'unité spéciale R.O.S. à Palerme, spécialisée dans la lutte contre le crime organisé.

Dans son numéro d'hier, le journal italien La Repubblica rapporte les propos d'un témoin repenti, Giuseppe Carbone, qui aurait raconté à la police locale que les deux frères Scaduto, accusés d'avoir tué Fernandez, auraient agi sur l'ordre de Vito Rizzuto et qu'ils l'auraient assassiné parce qu'il avait comme compare un ennemi de Rizzuto.

Au Québec, la police croit que Raynald Desjardins et d'autres chefs de clan auraient tenté de prendre la tête de la mafia à la suite de la chute des Rizzuto en 2010 - ce que n'auraient pas accepté les Siciliens, revenus en force depuis la libération de Vito Rizzuto, en octobre. Le beau-frère de Desjardins, l'influent mafioso Joe Di Maulo, et son ami et bras droit Gaétan Gosselin ont été assassinés au cours des derniers mois.

Un ordre du Canada

Les carabiniers n'excluent pas que la lutte de pouvoir à Montréal se soit transportée en Sicile, où Fernandez s'est établi après avoir été expulsé du Canada, en avril 2012. Ils refusent toutefois, pour le moment, d'identifier un commanditaire.

«Sur l'écoute, Fernandez disait que Desjardins était son ami, mais il n'a pas choisi de camp. C'était vraisemblablement une erreur. On suppose que quelqu'un de l'autre camp n'était pas content et a décidé de l'éliminer.»

«Nous sommes certains que l'ordre de le tuer vient du Canada, car Fernandez a été bien accueilli ici. Nous croyons que la commande vient d'une personne de très haut niveau de la mafia au Canada», a ajouté le lieutenant-colonel Bottino.

Selon nos sources, Fernandez a déjà possédé un café dans le quartier Saint-Michel et aurait été lié à une cellule du clan Cotroni durant les années 80. Il serait ensuite devenu le garde du corps de Raynald Desjardins, qui l'aurait introduit auprès de Vito Rizzuto. En prison, Fernandez, un colosse rompu au karaté, protégeait les membres de la mafia. Durant les années 90, il a été arrêté avec 4 kg de cocaïne trouvés dans une Jaguar prêtée par Desjardins. Durant les années 2000, il est devenu proche de Vito Rizzuto et s'est établi à Toronto. «Pour s'être fait prendre de cette façon et avoir passé autant d'années en prison, il était plutôt un homme de main qu'un homme d'honneur», a exprimé une source du milieu, au sujet des conversations captées par les carabiniers, dans lesquelles Fernandez se disait un homme d'honneur de la mafia.

Pas d'extradition pour Rizzuto

Par ailleurs, le lieutenant-colonel Bottino a confirmé hier à La Presse ce dont plusieurs se doutaient déjà: les autorités italiennes ne demandent plus l'extradition de Vito Rizzuto dans le cadre de l'enquête sur le blanchiment de centaines de millions de dollars de la mafia canadienne dans la construction du pont de Messine, qui relie la Sicile à l'Italie continentale.

«Il n'y a pas de preuve qui justifierait une telle procédure. Il pourrait avoir des problèmes, mais pas avec le pont de Messine», a conclu le chef carabinier.

Photo fournie par la R.O.S.

Durant leur enquête, les carabiniers ont filé Juan Ramon Fernandez (à droite) en compagnie de Giuseppe Carbone (à gauche) qui collabore maintenant avec la police.