L'Assemblée nationale ne peut pas se soustraire aux lois du travail en invoquant les privilèges parlementaires.

Des gardiens de l'Assemblée nationale à qui on reprochait des activités de voyeurisme peuvent donc faire entendre un grief contre leur congédiement.

La Cour suprême du Canada en est arrivée à cette conclusion dans un jugement à sept contre deux publié vendredi matin. Les juges Suzanne Côté et Russell Brown sont dissidents.

La cause est celle de trois gardiens de sécurité de l'Assemblée nationale qui, en juillet 2012, sont congédiés par le président de la Chambre, Jacques Chagnon, lorsqu'on découvre qu'ils utilisaient une caméra de l'Assemblée pour regarder dans les chambres d'un hôtel du quartier.

Leur syndicat a déposé un grief contre ce congédiement. Le président de l'Assemblée a invoqué le privilège parlementaire et son droit de gérer ces lieux comme bon lui semble pour se soustraire à l'audition du grief. Selon le président, la Constitution lui garantit le privilège de gestion du personnel et le privilège d'expulser les étrangers de l'Assemblée nationale et de ses environs.

Un premier arbitre a rejeté cet argument. La Cour supérieure du Québec a plutôt donné raison au président de l'Assemblée. Puis, la Cour d'appel du Québec a infirmé cette décision, à deux juges contre un.

La Cour suprême du Canada vient d'avoir le dernier mot dans cette affaire en donnant raison au Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec qui représente les trois hommes congédiés.

Six des sept juges majoritaires écrivent avec la plume de la juge Andromache Karakatsanis.

Ils basent leur jugement, entre autres, sur la nature du travail des gardiens de sécurité de l'Assemblée nationale. Ces gardiens appuient les constables spéciaux et les policiers, mais ils n'ont pas un pouvoir d'intervention en cas de problème de sécurité.

«Le président [de l'Assemblée] n'a pas réussi à démontrer que la gestion des gardiens de sécurité est si étroitement et directement liée aux fonctions constitutionnelles de l'Assemblée que celle-ci a besoin d'être soustraite du régime de relations de travail applicable afin d'exercer ces fonctions», écrit la juge.

«Il va de soi que le président est autorisé à exercer ses droits de gestion et à congédier les gardiens de sécurité pour une cause juste et suffisante. Toutefois, le privilège parlementaire ne protège pas la décision du président d'une révision dans le cadre du régime de relations de travail auquel les gardiens de sécurité sont assujettis suivant la LAN (Loi sur l'Assemblée nationale) et la Loi sur la fonction publique», conclut le jugement.

Le septième juge, d'accord avec le résultat du jugement, y arrive cependant par un autre chemin. Il rappelle que l'Assemblée elle-même s'est dotée d'une loi qui encadre ses pouvoirs.

«Quelle que soit la portée du privilège parlementaire relatif à la gestion du personnel, la loi qui régit l'Assemblée nationale du Québec [...] résout le litige. Lorsqu'un corps législatif assujettit un aspect du privilège à l'application de la loi, ce sont les dispositions de la loi qui s'appliquent», écrit le juge Malcolm Rowe.

Les trois hommes pourront donc faire entendre leur grief par un arbitre en droit du travail qui décidera si oui ou non leurs gestes méritaient un congédiement.

Et les juges du plus haut tribunal du pays notent que «les conclusions relatives au privilège parlementaire toucheront tous les autres organes législatifs». Le jugement s'applique donc à toutes les assemblées provinciales ainsi qu'au Parlement fédéral.