Deux procureures attitrées aux procédures d'Objection, la plus importante enquête anti-motards en 10 ans au Québec, se sont fait voler chez elles, le même jour, la semaine dernière, des documents policiers et judiciaires liés au dossier, a appris La Presse.

Pour les autorités, ces introductions par effraction sont d'autant plus préoccupantes que les deux victimes font partie du Bureau de la grande criminalité et des affaires spéciales du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), et que le ou les malfaiteurs n'ont subtilisé que les documents, et rien d'autre.

Dans le premier cas, le vol a été commis dans une résidence de l'agglomération de Longueuil, et le ou les voleurs ont subtilisé une mallette contenant les documents sans même emporter des appareils électroniques qui auraient été laissés à la vue. Dans l'autre cas, le méfait a été commis à Montréal, et là encore, seuls des DVD judiciaires ont disparu.

Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) et le Service de police de l'agglomération de Longueuil (SPAL) ont amorcé une enquête sur les vols, mais puisque ceux-ci peuvent être reliés, le dossier a été transmis à la division des Crimes majeurs de la Sûreté du Québec (SQ), qui travaillera en collaboration avec les deux autres corps de police.

LE CONTENU DES DOCUMENTS

Selon nos informations, parmi les documents volés se trouveraient des versions non caviardées de documents divulgués à la défense et divers documents numérisés. Des rappels seraient faits aux procureurs pour qu'ils n'apportent pas de documents sensibles à la maison, et des sources de La Presse se sont faites rassurantes et ont dit douter que les documents volés mettent en péril le dossier devant les tribunaux.

Néanmoins, joint au téléphone, l'inspecteur Guy Lapointe, de la SQ, a dit que la situation était prise au sérieux, mais qu'en raison de l'enquête en cours, il ne commenterait pas davantage.

De son côté, Me Annick Murphy, directrice des poursuites criminelles et pénales, nous a fait parvenir une déclaration visant à rassurer son personnel et à prévenir que le DPCP ne céderait pas à l'intimidation.

« Nous vivons dans une société libre et démocratique dans laquelle les institutions judiciaires doivent pouvoir accomplir pleinement et sans entraves leur rôle fondamental afin que justice puisse être rendue. Ainsi, la sécurité de tous les acteurs du système judiciaire doit être assurée et préservée. Conséquemment, le DPCP ne se laissera pas intimider dans l'accomplissement de sa mission de poursuite. Notre équipe de sécurité interne ainsi que nos partenaires des services policiers prennent toutes les mesures qui s'imposent pour assurer la sécurité des procureurs, lesquels doivent pouvoir agir en toute indépendance, sans crainte de représailles », écrit-elle.

AUTRE INCIDENT EXAMINÉ

Un troisième événement soulève également des questions. Le jour même des vols, un autre procureur qui a contribué au projet Objection a garé sa voiture près du palais de justice de Joliette et lorsqu'il est revenu vers celle-ci, elle était coincée entre deux véhicules, tellement qu'il n'a pu quitter les lieux. Le procureur n'en a pas fait de cas sur le coup et n'a pas appelé la police, mais dans le contexte des deux méfaits commis chez ses collègues, la police se demande s'il pourrait y avoir un lien entre les trois incidents.

Objection, menée par les enquêteurs de l'Escouade nationale de répression contre le crime organisé (ENRCO), a débouché le 24 avril dernier sur le démantèlement de trois réseaux de trafic de stupéfiants liés aux motards et à l'arrestation de près de 80 individus, dont deux membres des Hells Angels. Deux autres, Stéphane Maheu et Daniel André Giroux, n'ont pas encore été arrêtés et sont en cavale depuis maintenant cinq mois.

Le projet Objection est la plus importante enquête policière menée contre le crime organisé québécois depuis l'opération Magot-Mastiff, en novembre 2015, et la plus considérable contre les motards depuis SharQc, en avril 2009.

Les autorités croient que les Hells Angels ou des individus de leur entourage pourraient être derrière ces deux vols, mais elles se questionnent sur l'objectif de tels gestes.

Certains pourraient être tentés de faire un parallèle entre ces méfaits et une récente lettre de menaces visant l'inspecteur Guy Lapointe et son célèbre père du même nom, ancien défenseur du Canadien de Montréal. Toutefois, durant leur grand rassemblement en Montérégie il y a un mois, des Hells Angels ont nié sur les ondes de TVA que leur organisation soit derrière les menaces contre le policier et son père, qualifiant même ces allégations de « ridicules ».

DES PRÉCÉDENTS

Les deux larcins commis chez les procureures ne sont pas sans rappeler d'autres vols dont ont été victimes des représentants de l'ordre et qui ont fait la manchette dans le passé.

À la fin des années 90, alors que la guerre des motards faisait rage, des membres des Rockers, défunt club-école des Hells Angels, ont dérobé l'ordinateur portable d'un enquêteur de l'Escouade régionale mixte (ERM) qui avait loué une chambre dans le même hôtel qu'eux, à l'occasion d'un rassemblement de motocyclistes. Les Rockers ont remis l'ordinateur à leurs patrons, les Nomads, qui en auraient fait des copies - en prenant bien soin de retirer certaines informations - et qui les auraient revendues aux membres des cinq autres sections des Hells Angels au Québec. Selon un délateur, les motards ont trouvé dans l'ordinateur des informations qui leur auraient permis de déduire qu'ils avaient une taupe au sein de leur organisation, Claude DeSerres, mort assassiné à Notre-Dame-de-la-Merci en février 2000.

Le 17 décembre 2015, un commandant du SPVM s'est fait voler un sac de marque Rudsak laissé à la vue dans sa voiture banalisée qu'il avait garée au centre-ville, pendant qu'il prenait part à un party de Noël.

Dès que le vol a été signalé, le SPVM a déclenché un déploiement d'enquête d'urgence à l'issue duquel un individu a été arrêté et le sac, retrouvé. À l'époque, le SPVM a assuré que ce que renfermait le sac - des clés USB contenant des informations sur des enquêtes internes, notamment - avait été retrouvé dans sa totalité. Dans ce cas-ci, toutefois, il s'agissait davantage d'un vol par opportunité que d'un méfait ciblé.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l'adresse postale de La Presse.