De la taille d'un grille-pain et capable de donner un résultat en 15 minutes, le premier appareil de dépistage de cannabis au volant homologué par Ottawa est loin d'être aussi fiable que les tests d'alcoolémie menés aux abords des routes par les policiers. Plusieurs avocats criminalistes consultés par La Presse disent qu'ils contesteront inévitablement sa fiabilité devant les tribunaux.

Conçu par le fabricant d'équipements médicaux allemand Dräger, le DrugTest 5000 que vient d'approuver le ministère de la Justice est déjà utilisé en Californie, en Allemagne, en Norvège et en Australie pour contrôler l'usage du cannabis au volant. 

Une évaluation scientifique publiée en mai dernier dans le Journal of Analytical Toxicology rapporte que 14,5 % des échantillons de salive analysés à l'aide de cet appareil par des policiers norvégiens étaient en fait de « faux positifs ». L'analyse sanguine réalisée ultérieurement n'a pas confirmé une présence de THC suffisante pour permettre de conclure que ces conducteurs avaient effectivement les facultés affaiblies par le cannabis. D'autres chercheurs affiliés au Centre canadien sur les dépendances ont pour leur part conclu en 2017 que le DrugTest 5000 affichait un taux de « faux positifs » de 3 à 7 %. 

« L'utilisation de cet appareil par les policiers canadiens va nécessairement entraîner des arrestations et des détentions arbitraires, avance l'avocat criminaliste Mike Boudreau, habitué des causes de conduite avec facultés affaiblies. Les criminalistes vont certainement faire appel à des experts qui vont contester sa fiabilité. La question va fort probablement se rendre jusqu'en Cour suprême », prédit-il. 

Plus probant avec les fumeurs réguliers

Une autre étude sur l'efficacité du Dräger DrugTest 5000, présentée en 2013 lors de l'International Conference on Alcohol and Drugs Traffic Safety, a révélé que la sensibilité de l'appareil était plus élevée auprès des consommateurs réguliers de cannabis que chez ceux qui en consomment occasionnellement. Dans trois cas rapportés, la machine a même détecté la présence de THC jusqu'à 30 heures après la consommation de cannabis, alors que la fenêtre durant laquelle le cannabis a un impact reconnu sur les capacités de conduite est de deux à quatre heures après l'inhalation.

« Le gouvernement veut montrer qu'il agit de façon proactive avec la question du cannabis au volant, mais ce sera fortement contesté en cour. Ça peut mener à du profilage. »

- Ulrich Gautier, avocat criminaliste, qui présentera en octobre prochain une conférence sur la question

Les appareils comme le Dräger DrugTest 5000, qui détectent le THC dans la salive, « ne sont pas encore tout à fait au point », estime le toxicologue Mohammed Ben Amar, qui a témoigné en cour comme expert dans des centaines de procès. « Le problème est qu'il n'y a pas de corrélation fiable entre la concentration de THC dans la salive et la concentration de THC dans le sang, précise-t-il. Donc, des appareils comme celui-là peuvent juste servir pour des tests préliminaires. Le résultat ne peut pas donner de détails sur le degré d'amoindrissement des capacités de conduite », estime M. Ben Amar. En comparaison, les tests d'alcoolémie menés par les policiers sur le terrain sont, selon lui, « presque fiables à 100 % ».

Déjà commandé par la GRC

La Sûreté du Québec a indiqué cette semaine ne pas avoir encore acquis l'appareil, qui se vend de 5000 à 6000 $, mais la GRC en a demandé quelques exemplaires pour commencer à former ses policiers, affirme Robert Clark, gestionnaire chez Dräger Canada.

Les services de police qui se le procureront s'en serviront uniquement comme outil de détection pour établir s'ils ont des « motifs raisonnables et probables » d'exiger un test sanguin plus approfondi au poste de police, souligne M. Clark. « Plusieurs avocats relèvent régulièrement l'étude norvégienne pour dire que notre appareil n'est pas fiable, mais une étude faite en Californie a rapporté un taux d'efficacité de 98 %, et c'est un appareil qui s'est révélé très fiable au cours des 10 dernières années. » 

Difficilement utilisable l'hiver

Plusieurs avocats qui se sont intéressés à la machine affirment que le climat nordique du Canada la rendait difficilement utilisable en hiver. Un document obtenu par La Presse grâce à la Loi sur l'accès à l'information révèle qu'un projet pilote mené par la GRC et la Sécurité publique en 2016 sur deux autres appareils de dépistage par voie orale semblables a montré qu'ils avaient connu des défaillances dues à la météo. « Le deuxième problème de mauvais fonctionnement le plus courant était la température », indique ce rapport du Comité sur la prévention du crime et la police, daté de mai 2017. 

Le Dräger DrugTest 5000, qui n'a pas été testé dans le cadre de ce projet pilote, fonctionne officiellement dans des températures ambiantes se situant entre - 4 et 20 °C, selon les spécifications du fabricant. 

- Avec William Leclerc, La Presse