C'est d'abord pour réaliser un « suicide professionnel », mais ensuite pour « nourrir son ego » que l'ex-officier des Forces canadiennes Jeffrey Delisle a vendu pendant des années de l'information « top secret » aux Russes. Le responsable d'un des pires cas de trahison de l'histoire du pays a obtenu cette semaine sa semi-liberté en maison de transition.

L'ex-membre de la Marine canadienne purge depuis février 2013 une peine d'emprisonnement de 18 ans et 5 mois pour avoir plaidé coupable à des accusations d'abus de confiance et de transmission d'information confidentielle à un pays étranger. Mardi, la Commission des libérations conditionnelles du Canada (CLCC) a autorisé l'homme de 47 ans à résider dans une maison de transition pendant six mois en raison de son « faible » risque de récidive et de son potentiel « élevé » de réintégration à la société.

Une fois la main dans l'engrenage, il n'y a plus eu de retour en arrière. Jeffrey Delisle est entré par la porte principale de l'ambassade de Russie à Ottawa et a exhibé sa carte militaire pour gagner l'attention des responsables. Mais comment cette « étoile montante » des Forces canadiennes est-il devenue un traître à la solde de la Russie ? La récente décision de la CLCC obtenue par La Presse lève le voile sur ses motivations.

SUICIDE PROFESSIONNEL

Dès 1998, le jeune officier a obtenu l'accès à de l'information « top secret » des Forces canadiennes. Son ego était gonflé à bloc. Mais vers le milieu des années 2000, sa vie parfaite s'est écroulée et son mariage a implosé. Il a alors envisagé le suicide, mais il a plutôt choisi en 2007 de « détruire » ce qui restait de sa vie en commettant l'irréparable pour un militaire : trahir son pays.

Le sous-lieutenant basé à Halifax a mis cartes sur table avec les Russes : il était prêt à échanger de l'information très sensible sur les Forces canadiennes et ses alliés du Groupe des cinq (Five Eyes), incluant les États-Unis et le Royaume-Uni.

Pendant quatre ans, l'espion a fourni tous les mois de l'information « secrète » et « top secret » à des contacts russes en échange de dizaines de milliers de dollars.

Ce n'est qu'à la fin de 2011 que la Gendarmerie royale du Canada (GRC), alertée par les autorités américaines, a mis sous écoute l'espion russe. Les enquêteurs ont alors découvert que l'officier en renseignement naval recherchait de l'information concernant la Russie dans des banques de données qui contenaient de l'information « top secret ».

NOURRI PAR SON RÔLE D'ESPION

Pendant cette période, sa vie était devenue un « château de cartes » construit sur des mensonges et prêt à s'effondrer à tout moment. Il croyait néanmoins pouvoir « tout contrôler ». Son « ego » était nourri par son rôle d'espion et il croyait même pouvoir regagner le coeur de son ancienne compagne grâce à ses gains.

Jeffrey Delisle admet maintenant qu'il aurait pu claquer la porte, mais qu'il ne l'a pas fait en raison de ses « troubles émotionnels, de son égoïsme et de son arrogance ». Il ajoute avoir toutefois essayé de laisser des « traces évidentes » de sa trahison dans « l'espoir d'être arrêté ». Après plus de cinq ans derrière les barreaux, l'ex-militaire exprime des remords pour ses actions et reconnaît avoir mis en péril la sécurité de certaines personnes.

Les crimes de Jeffrey Delisle sont « extrêmement sérieux » et auraient pu entraîner des « conséquences potentiellement tragiques », soulignent les commissaires dans leur décision. Néanmoins, ceux-ci relèvent sa détermination à respecter son plan de réinsertion sociale, ses nouvelles habitudes de vie saines et sa prise de responsabilité pour ses gestes pour justifier l'autorisation de sa semi-liberté.

Jeffrey Delisle sera admissible à sa libération conditionnelle totale en mars prochain, puis à sa libération d'office en 2025.