La Cour supérieure invalide la tentative du gouvernement québécois d'interdire aux citoyens l'accès à des sites de jeu en ligne non autorisés par Loto-Québec.

Dans une décision récente, le juge Pierre Nollet conclut que la loi québécoise est inconstitutionnelle, parce qu'elle empiète sur les compétences fédérales en matière de télécommunications, mais aussi sur le Code criminel canadien.

La loi québécoise, adoptée en 2016, était sans précédent au Canada: elle enjoint aux fournisseurs de services internet de bloquer l'accès des citoyens aux sites de jeux en ligne non autorisés par Loto-Québec, une société d'État.

Par cette loi - qui n'était pas encore entrée en vigueur -, le gouvernement libéral de Philippe Couillard s'est fait accuser de tenter de censurer en partie l'internet et de violer le principe de neutralité du web.

Le ministre des Finances, Carlos Leitao, soutenait que cette loi était nécessaire afin de protéger la santé et la sécurité des Québécois, car les sociétés de jeux privées n'appliquent pas les mêmes règles que le gouvernement en matière de responsabilité sociale.

Dans sa décision du 18 juillet, le juge Nollet conclut plutôt que la loi visait d'abord à bloquer l'accès au jeu privé en ligne, et non à protéger les consommateurs ou la santé publique.

L'Association canadienne des télécommunications sans fil (ACTS), qui contestait la loi québécoise, s'est dite satisfaite de cette décision de la Cour supérieure, mardi.

Un porte-parole de l'ACTS a dit par courriel que l'organisation avait toujours soutenu que les Canadiens sont mieux servis par une série de réglementations fédérales « équilibrées » plutôt qu'une « mosaïque de règlements provinciaux ».

La neutralité de l'internet

Le professeur en droit de l'Université d'Ottawa Michael Geist, de la Chaire de recherche du Canada en droit d'internet et du commerce électronique, a estimé que le tribunal avait « vu juste ».

« (Le jugement) envoie un message fort au gouvernement du Québec et à tout autre gouvernement provincial qui estimerait que réglementer l'internet par l'entremise de plans de blocage est la voie à suivre », a affirmé M. Geist.

Dans les documents du budget de 2015, le ministère des Finances soulignait que la plateforme de jeux en ligne de Loto-Québec essuyait des pertes. Par conséquent, le gouvernement prévoyait présenter un projet de loi interdisant aux Québécois l'accès à des sites internet non autorisés par la société d'État.

M. Geist a dit croire que le projet de loi portait essentiellement sur l'augmentation des revenus de Loto-Québec.

« Et le gouvernement ne s'en défendait pas jusqu'à ce qu'il y ait la réalité de cette contestation en cour, et à ce moment, il y a eu cette tentative de la présenter comme une mesure de santé et de sécurité », a soutenu le professeur de l'Université d'Ottawa.

Ni le porte-parole de Loto-Québec ni la porte-parole du ministre des Finances n'ont voulu commenter le jugement, mardi.

M. Geist a affirmé que le jugement pourrait avoir un impact sur une décision à venir du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) concernant une demande d'une coalition d'entreprises - incluant Bell Canada et CBC/Radio-Canada - pour que le CRTC bloque des sites internet considérés comme des fournisseurs de contenu créatif piraté.

Le juge Nollet a cité la Loi sur les télécommunications de 1993 dans sa décision, qui donne, selon lui, force de loi au concept de neutralité de l'internet.

La « neutralité » de l'internet signifie que les fournisseurs devraient être des relayeurs neutres du contenu et ne devraient pas privilégier certains sites au détriment d'autres ou bloquer l'accès à certains sites.

Selon la loi de 1993, « il est interdit à l'entreprise canadienne, sauf avec l'approbation du Conseil (CRTC), de régir le contenu ou d'influencer le sens ou l'objet des télécommunications qu'elle achemine pour le public ».