Le tribunal suprême populaire de Cuba a annulé la condamnation pour «homicide par imprudence» de Toufik Benhamiche. Mais le Québécois n'est pas au bout de ses peines : les autorités cubaines refusent de le laisser rentrer au Canada. Son avocat a d'ailleurs sommé Ottawa de le rapatrier d'ici sept jours dans une mise en demeure envoyée hier.

«Je pensais que le cauchemar était terminé», dit en soupirant Toufik Benhamiche, au bout du fil, mais l'ingénieur de Mascouche est retombé «dans une détresse incroyable».

À la fin du mois de juin, le Tribunal Supremo Popular de Cuba, la plus haute cour du pays, a annulé la décision d'une cour provinciale qui l'avait déclaré responsable, en décembre dernier, d'un accident de bateau qui avait coûté la vie à une autre touriste canadienne, en juillet 2017.

«Tout ce qu'on a dit depuis un an, le Tribunal suprême a fini par le reconnaître», s'exclame M. Benhamiche, énumérant les «vices de procédures», les «violations de la compagnie [propriétaire de l'embarcation]».

La cour «demande aux procureurs et au tribunal provincial d'accuser les vrais responsables de l'accident», ajoute-t-il.

«Notre compréhension, c'est que les accusations aussi sont annulées [par la décision du Tribunal suprême populaire]», a déclaré à La Presse sa femme, Kahina Bensaadi.

Mais en attendant une éventuelle procédure reprise depuis le début, les autorités cubaines refusent de laisser Toufik Benhamiche rentrer au Canada.

Kahina Bensaadi s'insurge de cette décision, expliquant que son mari «ne peut ni vivre avec sa famille, ni travailler, ni rien faire d'autre qu'attendre et compter les jours comme on les compterait en prison».

«Le garder encore signifie lui infliger une peine d'emprisonnement.»

Reprochant au gouvernement canadien son inaction dans cette affaire, l'avocat Julius Grey, qui représente Toufik Benhamiche au Canada, a sommé Ottawa de rapatrier le père de famille de 47 ans d'ici à lundi prochain.

Toufik Benhamiche est «privé de son droit à la liberté, à la vie, à la sécurité et à la dignité», plaide Me Grey dans la mise en demeure envoyée hier à la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland.

Dans une rencontre à l'ambassade du Canada à La Havane, lundi, M. Benhamiche a prié les représentants canadiens de plaider en sa faveur auprès des autorités cubaines, en demandant de lui accorder un visa de sortie.

Mais ces derniers ont refusé d'intervenir, souligne l'avocat dans la mise en demeure.

«Ils ont seulement demandé mon statut [légal], ce n'est pas assez!», déplore M. Benhamiche.

Julius Grey affirme que les anciens démêlés judiciaires d'Omar Khadr, citoyen canadien longtemps détenu à Guantánamo, ont clairement établi que la Charte canadienne des droits et libertés s'applique aux citoyens à l'extérieur du pays, «lorsque le gouvernement canadien contribue à contrevenir aux obligations légales du Canada par le traitement de l'un de ses citoyens».

C'est ce qui se produit dans ce cas, selon lui.

«Les autorités canadiennes traitent ce cas comme s'il s'agissait non pas de Cuba, mais de la France ou de l'Angleterre», souligne l'avocat en entrevue téléphonique.

Le ministère des Affaires étrangères du Canada n'a pas répondu aux questions de La Presse.

«C'est très pénible»

Rappelons que Toufik Benhamiche, sa femme Kahina Bensaadi et leurs deux jeunes enfants avaient voulu profiter d'une dernière journée de vacances à Cayo Coco, à Cuba, en participant à une excursion en bateau, le 7 juillet 2017.

Mais le hors-bord s'est emballé dès que M. Benhamiche a mis le moteur en marche, alors que le guide cubain se trouvait déjà en mer.

L'embarcation a fait demi-tour, a foncé vers le quai, et son hélice a frappé l'Ontarienne Jennifer Ann Marie Innis, qui a été tuée sur le coup.

L'excursion était organisée par l'entreprise cubaine Gaviota Tour et son sous-traitant cubain Marlin SA, partenaires du voyagiste Sunwing, mais dans sa poursuite, la justice cubaine n'a ciblé que le touriste canadien, Toufik Benhamiche.

«Toufik Benhamiche n'a rien fait, il a simplement perdu la maîtrise d'un bateau qui n'aurait pas dû être laissé entre ses mains. Depuis, il est suspendu entre différentes instances et tribunaux. C'est comme un roman de Kafka, combien de temps peut-on vivre un tel cauchemar?» demande Julius Grey.

Toufik Benhamiche se dit «découragé», mais s'efforce de «ne pas flancher» pour «soutenir moralement [sa] famille».

«C'est pénible, c'est très pénible», confie pour sa part sa femme, notamment pour les enfants, qui «ont hâte de voir leur papa».