Depuis un an, c'était la déroute à l'Unité permanente anticorruption (UPAC). Querelles internes, enquêteurs mécontents, interférences politiques ; les déboires de l'organisme faisaient constamment la manchette. En février, le président de l'Association des policières et policiers provinciaux du Québec, Pierre Veilleux, se disait consterné : désemparés, les enquêteurs « pleuraient » lors des rencontres avec leur syndicat, et la moitié d'entre eux voulaient foutre le camp.

Il y a six mois aujourd'hui, l'UPAC arrêtait le député Guy Ouellette, sans mandat. Un retraité de la Sûreté du Québec (SQ) et un enquêteur de l'UPAC faisaient aussi l'objet de perquisitions. Depuis, les avocats des deux côtés débattent de la portée du « privilège parlementaire ». Les pièces saisies au bureau et aux domiciles de M. Ouellette sont toujours sous scellé, en attendant de savoir si le bras de la Justice est assez long pour atteindre les documents d'un élu. « Qu'on accuse ou qu'on s'excuse ! » avait tonné le président de l'Assemblée nationale, Jacques Chagnon. Six mois plus tard, on en est toujours au même point.

Ce qui a changé, c'est le silence radio sur l'UPAC depuis. Les guerres internes, la mauvaise gestion semblent subitement chose du passé. 

« L'UPAC n'avait pas de lien avec nous, on s'est imposés d'une certaine façon. Ce sont nos membres, on veut avoir des liens », souligne le président Pierre Veilleux. Auparavant, le syndicat devait passer par la SQ pour rejoindre la quarantaine d'enquêteurs, ses membres à l'UPAC. Il a désormais un accès direct. « Le climat est beaucoup plus convenable. » En outre, des gestionnaires à la source de frictions avec les enquêteurs ne verront pas leurs contrats renouvelés, croit M. Veilleux. Et si les déboires de l'UPAC venaient en bonne partie d'une guérilla syndicale ? Tous ceux qui suivent les négociations du secteur public savent que, tout à coup, le Québec paraît affligé d'une « médecine de guerre ». 

Quand les syndiqués de la santé discutent de leurs conditions de travail avec l'employeur, les équipes de reportages débarquent comme par hasard dans des salles d'urgence qui débordent. Tout devient plus calme, subitement, une fois la convention signée.

Mais le commissaire Robert Lafrenière ne fait pas de lien de cause à effet entre des relations de travail améliorées et la fin des controverses. « On fait le maximum pour que cela aille bien. Au niveau des enquêtes, il manque seulement deux policiers. L'absentéisme est bas, à 6 %, le taux de roulement est bien diminué », a résumé Lafrenière hier soir, après son témoignage à la commission parlementaire qui étudiait les crédits du ministère de la Sécurité publique. La division qui vérifie l'intégrité des entreprises a traité 187 dossiers de plus que l'an dernier. Pour l'année en cours, les enquêtes de l'UPAC ont mené à 22 accusations. Depuis sa formation, il y a six ans, l'escouade a étayé des dossiers d'accusation à l'endroit de 194 personnes.

LE FACTEUR ZAMBITO

Une autre source des problèmes de l'UPAC se trouvait en commission parlementaire, hier. Lino Zambito, en point de presse, venait systématiquement prendre à contrepied ce que venait de dire le commissaire Lafrenière devant les députés.

Lafrenière venait de nuancer ses déclarations voulant que l'UPAC ne procéderait pas à des arrestations en campagne électorale. L'application de la justice ne sera pas suspendue du 29 août au 1er octobre, a précisé celui qui avait dit qu'il « n'avait rien à cirer de l'agenda politique ».

Il a battu sa coulpe après des questions serrées du péquiste Stéphane Bergeron et du caquiste André Spénard. « J'ai peut-être poussé le bouchon un peu loin, j'ai été fort un peu », a soutenu Lafrenière. Il dit toujours qu'il n'a pas l'intention de donner le feu vert à une opération qui pourrait « déséquilibrer » le débat normal en campagne électorale. Mais si un témoin risque de se défiler ou que de la preuve est en péril, l'UPAC interviendra.

À la fin de la journée, il reconnaissait ne pas pouvoir dire si toutes ces affaires seraient tirées au clair avant les élections. 

« On fait le maximum, mais on ne tournera pas les coins rond. De toute façon, le DPCP n'accepterait pas les demi-mesures. » - Robert Lafrenière

Rebrassées par Lino Zambito, à la porte de la commission parlementaire, les déclarations du témoin se transformaient en « intimidation malsaine à l'endroit des députés », une menace larvée que des arrestations risquaient de les frapper. « Qu'il [M. Lafrenière] ne fasse pas de politique, qu'il fasse son ouvrage comme un corps de police. »

M. Zambito voit d'autres contradictions dans le discours de Lafrenière, qui a dit que l'enquête sur Ouellette était suspendue. « Maintenant, il dit que l'enquête se poursuit. On a toujours deux versions, beaucoup d'ambiguïtés. » En fait, le commissaire a expliqué que l'enquête spécifique sur les documents de Ouellette était sur pause, le temps que le privilège parlementaire soit défini. Le reste, ce qui ne risque pas d'être couvert par le privilège parlementaire, continue d'être analysé. Dans ce sens, l'enquête suit son cours, a expliqué Lafrenière.

Dès 2012, Zambito avait montré du doigt le procureur-chef du Bureau de la lutte contre la corruption, Me Sylvain Lépine, comme la source des fuites des dossiers de l'UPAC. Depuis, Me Lépine est devenu juge. L'UPAC n'a jamais enquêté sur son cas - une enquête a été menée par la SQ avec le concours de la Gendarmerie royale du Canada.

Le dossier transmis par les policiers au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) ne suggérait aucun recours judiciaire, a expliqué hier Me Jean-Pascal Boucher, porte-parole du DPCP. La même question avait été traitée aussi dans la poursuite touchant l'ex-ministre Marc-Yvan Côté. Après contre-interrogatoire, les deux parties avaient convenu que Me Lépine n'avait rien à voir avec ces fuites. En clair, en dehors des allégations faites par M. Zambito en 2012, puis répétées dans un livre, il n'y avait rien.

Rappelons que le même Zambito avait écrit que le chef de cabinet de Philippe Couillard, Jean-Louis Dufresne, s'entretenait quotidiennement avec le patron de l'UPAC, Robert Lafrenière, ce qui paraît bien peu probable. Il a aussi soutenu, sur les ondes de Cogeco, que des employés de Luigi Coretti, propriétaire d'une agence de sécurité, avaient transporté 400 000 $ en argent liquide dans la limousine de Jean Charest, quand il était premier ministre. Il n'y a eu aucune suite.