L'affaire dépasse largement les frontières du Québec. Le voleur arrêté la semaine dernière pour avoir drogué des personnes âgées d'ici avec des chocolats tranquillisants aurait sévi partout sur le globe depuis des années. Et l'enquête menée à Montréal par une cellule spéciale du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) pourrait avoir des répercussions ailleurs dans le monde, a appris La Presse.

« On n'écarte pas qu'il y ait d'autres victimes. On espère que les gens seront rassurés parce qu'il a été arrêté, et que les victimes n'auront pas peur de dénoncer », a expliqué vendredi la commandante Christine Christie, responsable des enquêtes au Centre opérationnel Est du SPVM, en réaction à l'arrestation d'Hamid Chekakri.

Le résidant de l'Algérie, âgé de 47 ans, a été arrêté à l'aéroport d'Atlanta le 31 mars à la demande des policiers montréalais. C'est une cellule d'enquête spéciale de l'est de Montréal qui a permis de le relier à une vague d'agressions au domicile ciblant des personnes âgées à Montréal et à Ottawa, ainsi qu'à des tentatives infructueuses de répéter son manège à Sherbrooke. Les crimes sont tous survenus en décembre dernier, alors que l'homme a fait un séjour au Québec.

Le modus operandi était sensiblement le même chaque fois : l'homme ciblait des personnes âgées qui avaient une maison à vendre. Il se montrait intéressé et se présentait pour une visite avec une bouteille de vin et une boîte de chocolats. Après avoir goûté aux sucreries, les victimes perdaient connaissance et étaient dévalisées. Certaines victimes ne se sont réveillées que le surlendemain.

Des tests à l'hôpital ont démontré la présence dans le système de victimes de clonazépam, un puissant sédatif utilisé sur ordonnance dans certains pays comme tranquillisant ou pour contrôler les crises d'épilepsie.

IDEM À L'ÎLE MAURICE EN FÉVRIER

Lorsqu'elle a lu sur l'internet des articles sur les crimes attribués à Chekakri au Québec, cette semaine, Annabelle Wong a reconnu l'homme qui a dévalisé sa mère de 62 ans, Brinda Beeharry, à l'île Maurice en février. Les nombreux portraits que le voleur avait envoyés à sa mère avant de venir la visiter ne mentent pas.

Célibataire, la mère d'Annabelle Wong avait commencé à correspondre avec Chekakri à travers un site de rencontre, il y a un an et demi environ. Il prétendait faussement s'appeler « Marco » et résider à Monaco, selon ce qu'a expliqué Mme Wong en entrevue téléphonique avec La Presse vendredi.

Le 2 février, un mois après son départ du Canada, Chekakri aurait appelé la sexagénaire pour lui annoncer qu'il était maintenant à l'île Maurice. « Je suis venu te faire une surprise », disait-il. « Marco » a même montré à la dame des photos de son séjour au pays de l'érable, dans la neige.

La mère d'Annabelle Wong raconte que le faux Marco est venu la visiter à plusieurs reprises avec des bouteilles de coca et des chocolats à partager. Il lui disait « Drink, honey, drink ! » et lui faisait goûter les sucreries.

« Il avait emmené des chocolats avec de la liqueur à l'intérieur. Elle a consommé ça. Elle ne se rappelle pas grand-chose après. Elle a pensé qu'elle était fatiguée, ou que c'était à cause de ses traitements médicaux. Elle n'a pas dormi mais elle était somnolente. Il a drogué ma maman ! »

- Annabelle Wong

Dans sa fatigue, elle ne s'est pas rendu compte qu'il emportait ses bijoux et vidait son compte bancaire.

« Il avait une douceur dans sa voix. C'était une personne gentille, avec de petits messages doux, des câlins. Et comme ma maman n'a eu personne depuis des années, elle a eu confiance », explique Mme Wong.

La description concorde avec celle donnée par les victimes au Québec. « Je n'avais pas de raison de ne pas avoir confiance, il était très gentil, drôle, sympathique », a raconté à La Presse Berthe Cadorette, dévalisée après avoir été droguée à Rivière-des-Prairies, le 12 décembre.

DE L'EAU AU MOULIN

Après le départ du faux Marco, Annabelle Wong a fait le tour des commerces du coin et a découvert un bijoutier qui croit avoir été arnaqué par le même suspect avec un faux chèque. Sa mère a porté plainte à la police locale, qui a fait le lien avec le même Hamid Chekakri ciblé par le SPVM. Mais l'homme avait quitté le pays, et les enquêteurs mauriciens ignoraient que la police était sur ses traces ailleurs dans le monde.

Ceux-ci pourront bénéficier du travail des enquêteurs montréalais pour leurs propres dossiers à partir de maintenant. Comme, au besoin, les policiers du Maroc, de Dubaï et du Costa Rica, d'autres pays visités par Chekakri après son séjour au Québec.

Déjà, par le passé, la police avait relié un Algérien du même nom et du même âge à des victimes détroussées et à l'usage d'un tranquillisant, en Indonésie et à Hong Kong.

UNE ÉQUIPE MULTIDISCIPLINAIRE

À Montréal, la commandante Christine Christie ne veut pas parler de ce qu'a pu faire Chekakri hors du Canada. « On savait qu'il voyageait beaucoup », se limite-t-elle à dire.

En décembre, quand le SPVM a découvert qu'un suspect multipliait les agressions au domicile en droguant des personnes âgées, la commandante a créé une cellule d'enquête spéciale pour s'attaquer au dossier.

Elle a réuni des enquêteurs du service partagé des enquêtes Est et du module Crimes de violence avec d'autres spécialistes : un profileur de la Sûreté du Québec, des gens du laboratoire des sciences judiciaires, des techniciens en scène de crime, des policiers de l'aéroport, des patrouilleurs qui ont quadrillé la ville et des analystes civils qui ont fait « un travail colossal » lié aux téléphones cellulaires du suspect. Des experts en polygraphie ont contribué en menant des « entrevues cognitives » très poussées avec les victimes.

La police de Toronto, la GRC, Interpol et le service des US Marshals américains ont aussi aidé à retrouver le fugitif.

« On a priorisé cette enquête-là. On se devait de déployer tous les effectifs nécessaires. Il fallait centraliser la prise de décision pour être plus efficaces. Si on avait travaillé en silos, ç'aurait été plus difficile », dit la commandante.

À 15 000 km de Montréal, Annabelle Wong et sa mère se félicitent du résultat de l'enquête.

« Nous espérons qu'il sera condamné avec une très lourde peine », dit-elle.

Sur les traces de Chekakri

ALGÉRIE

C'est le lieu de résidence officiel d'Hamid Chekakri, où il habite la commune d'Hussein Dey, sur le bord de la Méditerranée, en banlieue d'Alger. Aucune information n'a filtré jusqu'ici reliant Chekakri à des crimes dans son pays de résidence. Il n'existe pas de traité d'extradition entre le Canada et l'Algérie, et il aurait donc été difficile de le ramener ici s'il s'était terré là-bas.

INDONÉSIE

Dès 2001, un article du journal Jakarta Post rapportait l'arrestation d'un Algérien du nom de Hamid Chekakri dans l'île de Bali, en Indonésie. La police disait l'avoir arrêté « la main dans le sac » avec deux complices alors qu'ils forçaient un coffret de sûreté dans un hôtel. La police disait que le vol avait suivi une tentative d'offrir des cocktails aux gardiens de sécurité de l'hôtel « pour les rendre inconscients », mais que les gardiens avaient refusé parce qu'ils savaient que ce stratagème avait été utilisé dans d'autres vols au cours de la même année.

HONG KONG

En 2003, un article dans un journal de Hong Kong faisait état de l'arrestation d'un Algérien du même nom et du même âge qu'Hamid Chekakri. L'homme a été accusé d'avoir drogué des étudiants en versant du clonazépam dans leur verre, soit la même drogue utilisée au Québec dans les crimes de Chekakri. Les étudiants avaient ensuite été détroussés. L'accusé avait plaidé devant le tribunal hongkongais qu'il prenait du clonazépam pour traiter son épilepsie et que c'est par erreur que les étudiants en avaient ingéré à leur insu pendant la soirée. L'article rapportait que Chekakri avait écopé de 40 mois de prison.

MAROC

Selon des documents déposés à la cour, Hamid Chekakri aurait quitté Montréal pour Toronto lorsque le SPVM a publié une alerte publique sur la vague d'agressions au domicile ciblant des personnes âgées, le 26 décembre. Deux jours plus tard, il s'est rendu à New York puis a pris un vol vers le Maroc. Les agents du service des US Marshals disent avoir eu la confirmation qu'il se trouvait au Maroc au début de l'année 2018, mais on ignore ce qu'il y faisait.

ÎLE MAURICE

Hamid Chekakri se trouvait à l'île Maurice, dans l'océan Indien, en février dernier, comme le démontre le témoignage de la mère d'Annabelle Wong et un rapport de la police locale obtenu par La Presse. Il est soupçonné d'avoir poursuivi son manège frauduleux avec des sédatifs là-bas.

DUBAÏ

Lorsqu'elle a porté plainte à la police de l'île Maurice, Annabelle Wong dit s'être fait expliquer que le suspect Hamid Chekakri avait quitté le pays à la mi-février sur les ailes d'Emirates Airline, à destination de Dubaï. On ignore ce qu'il a fait là-bas.

COSTA RICA

Le 31 mars, Hamid Chekakri est réapparu au Costa Rica, où il s'est acheté un billet d'avion à destination de Philadelphie, avec escale à Atlanta. C'est là que le piège s'est mis en place grâce à la collaboration entre les autorités canadiennes et américaines. Des agents du service des US Marshals attendaient Chekakri à Atlanta et lui ont mis la main au collet dès sa descente de l'avion.

ÉTATS-UNIS

Hamid Chekakri avait 8000 $ en argent comptant sur lui lorsqu'il a été arrêté à Atlanta, mais les enquêteurs américains ignorent quel était son objectif à Philadelphie. Il est gardé derrière les barreaux dans l'attente de son audition pour extradition, car les autorités jugent qu'il représente un risque de fuite et une menace pour la communauté aux États-Unis, notamment les personnes âgées américaines. Sa prochaine apparition en cour est prévue pour le 18 avril.