Un juge québécois tente de sauver son poste en s'attaquant à la constitutionnalité de la loi qui a permis le mois dernier au Conseil canadien de la magistrature de recommander sa révocation. On reproche au juge Michel Girouard d'avoir acheté un «petit objet» à un trafiquant de cocaïne deux semaines avant sa nomination à la Cour supérieure du Québec.

Le Conseil canadien de la magistrature (CCM) a recommandé, le 20 février dernier, à la ministre fédérale de la Justice que le juge Girouard soit démis de ses fonctions. Or, le CCM n'a pas le pouvoir d'enquêter sur la conduite d'un juge d'un tribunal supérieur, avance le magistrat québécois dans une requête déposée vendredi dernier en Cour supérieure.

Il s'agit en fait d'une compétence exclusive des provinces en vertu de la loi fondatrice du Canada, la Loi constitutionnelle de 1867, soutient le juge Girouard. C'est pourquoi il demande à sa propre cour d'annuler le rapport du CCM recommandant sa révocation et de déclarer « inconstitutionnels, invalides et inopérants » plusieurs articles de la Loi sur les juges.

Dans sa requête, Michel Girouard fait état de « précédents des colonies » sur la destitution d'un juge pour justifier son point. Il remonte ainsi jusqu'au 18e siècle, citant même une décision de 1787 de l'Assemblée générale de la Nouvelle-Écosse pour illustrer que les « provinces ont historiquement exercé un contrôle sur la conduite des juges ».

Le Conseil canadien de la magistrature reproche à Michel Girouard une transaction suspecte avec un de ses clients, le 17 septembre 2010, deux semaines avant sa nomination à la magistrature. Une heure avant de rencontrer Me Girouard dans son commerce de façade, son client avait échangé de la drogue avec un important distributeur de cocaïne de la région de l'Abitibi. Il a d'ailleurs écopé d'une peine de neuf ans de pénitencier pour trafic de drogue et gangstérisme.

Une heure plus tard, Michel Girouard entre dans le local de son client et glisse de l'argent sous le coin d'un sous-marin qui se trouve sur le bureau. Son client sort un petit objet de sa poche et le glisse vers le juge, assis devant lui. Michel Girouard prend l'objet et le place immédiatement dans sa poche sans l'ouvrir. La transaction dure à peine 17 secondes.  

Selon le Conseil, le juge a livré un témoignage « incohérent, contradictoire et invraisemblable » pour justifier cette transaction captée par une vidéo de surveillance.  « On ne trouve nulle part une explication simple, sensée, cohérente, complète ou satisfaisante de ce qu'on voit dans l'enregistrement vidéo de 17 secondes. [...] Nous concluons que le juge ne veut tout simplement pas donner une explication véridique », écrit le Conseil dans sa décision.

Ainsi, le comité d'enquête du CMM a conclu que le juge Girouard avait «tenté d'induire en erreur» le premier comité d'enquête qui s'était penché sur cette affaire. Ce dernier avait constaté que le juge était « un témoin récalcitrant et obstiné, fréquemment indisposé à répondre promptement et pleinement aux questions qui lui étaient posées ».

En plus de cet appel, Michel Girouard a également déposé une demande de contrôle judiciaire de cette décision devant la Cour fédérale, il y a trois semaines.