Un juge a été convoqué devant son conseil de discipline pour avoir qualifié un mouvement spirituel d'« assez bizarre », alors qu'il devait décider s'il laisserait l'un de ses fidèles témoigner avec un couvre-chef lié à ses croyances.

L'homme en question adhère au rastafarisme, un mouvement religieux et politique rendu célèbre par Bob Marley. Plusieurs membres de cette communauté estiment que leur foi leur impose le port des « dreadlocks », des tresses serrées, ainsi que de se couvrir la tête, le plus souvent d'un bonnet de laine coloré.

« Moi, personnellement, c'est assez bizarre qu'on ait comme dieu un souverain éthiopien qui était chrétien orthodoxe pratiquant et qui demande aux rastafaris de pratiquer la religion orthodoxe », a affirmé le magistrat, qui siégeait alors en cour municipale. Il a toutefois autorisé l'homme à témoigner avec son couvre-chef.

Le rastafari en question venait de lui présenter de la documentation sur la nature de sa religion. Auparavant, le constable spécial avait refusé de le laisser entrer dans la salle d'audience pour attendre son tour parce qu'il refusait de se découvrir la tête.

« PAROLES DÉSOBLIGEANTES »

L'homme a expliqué « que tant la SAAQ que la RAMQ n'exigent pas qu'il se découvre la tête pour la photographie non plus que pour son passeport », rapporte la décision du Conseil de la magistrature, qui donne son feu vert à la convocation du juge pour faire face à une plainte déontologique.

Il reproche au juge des « paroles désobligeantes sur sa religion ». « Seule une enquête permettra de déterminer dans quelle mesure le juge, par son comportement, a agi avec intégrité, dignité et honneur et s'il a fait preuve de réserve, de courtoisie et de sérénité de façon à préserver le maintien de la confiance du public dans la magistrature », lit-on dans la décision.

Comme à son habitude, le Conseil de la magistrature ne dévoile pas le nom du juge impliqué avant la première audience de son dossier. Le nom du plaignant est aussi gardé confidentiel.

Le rastafari se trouvait devant la justice pour une histoire de non-conformité des rampes du balcon arrière de sa propriété. Il a été reconnu coupable et a dû payer une amende.

SOURCES CONTRADICTOIRES

Le mouvement rastafari est né il y a une centaine d'années en Jamaïque. « Cette religion est plus précisément une réaction contre le racisme et le colonialisme des années 20 », explique le Centre de recherche et d'observation de l'innovation religieuse (CROIR) de l'Université Laval dans une fiche signalétique. « Le groupe revendique une histoire et un territoire, celle de l'Afrique, et entend redonner à tous les Noirs leur fierté. L'Afrique devient pour ces Noirs une sorte de "Terre Sainte" vers laquelle tous devraient retourner. »

Les sources sont contradictoires quant à l'obligation pour les fidèles de sexe masculin de se couvrir la tête et de tresser leurs cheveux en « dreadlocks ». Le mouvement rasta n'étant pas hiérarchisé, ses règles ne sont pas uniformisées ou officialisées.

Le Règlement des cours municipales du Québec prévoit que « toute personne qui comparaît devant le tribunal doit être convenablement vêtue ».

Le bonnet après le hijab

C'est la deuxième fois en quelques années qu'un juge est convoqué devant le Conseil de la magistrature pour répondre à une plainte déontologique en lien avec un vêtement porté par croyance religieuse. En 2015, la juge Eliana Marengo avait refusé d'entendre une Montréalaise qui portait le hijab. « Selon moi, la salle de cour est un endroit et espace séculier. Il n'y a pas de symboles religieux dans cette pièce, pas sur les murs ni sur les personnes », a affirmé la juge Eliana Marengo. « Toute personne apparaissant devant la Cour du Québec doit être vêtue convenablement. À mon avis, vous n'êtes pas vêtue convenablement. » Son dossier est toujours actif devant le Conseil de la magistrature.