Des documents en ligne désignent un Québécois comme l'un des dirigeants de BitConnect, plateforme de cryptomonnaie accusée dans des recours collectifs aux États-Unis d'une fraude massive s'élevant à plus de 2 milliards de dollars. Mais Jean-Simon Labrèche, jeune entrepreneur de la région de Gatineau, s'estime plutôt victime d'un vol d'identité.

Son avocat, Christian Deslauriers, a indiqué à La Presse qu'il porterait plainte aux services policiers et entreprendrait les démarches nécessaires pour permettre à son client de se dissocier des activités de l'entreprise. « C'est un choc, a déclaré Me Deslauriers. Mon client est en train de faire des démarches pour s'assurer que son nom soit effacé de là et que les policiers s'intéressent à la situation. »

Un recours collectif déposé en Floride contre BitConnect allègue une fraude massive basée sur un stratagème de type Ponzi qui a causé ce qui a été décrit comme l'un des krachs les plus importants de l'histoire des cryptomonnaies.

« Le 17 janvier 2018 [...], BITCONNECT a soudainement fermé sa plateforme de transaction et son programme de prêts, une manoeuvre qui a précipité une chute presque immédiate de 90 % de la valeur de plus de 2,5 milliards $ des avoirs des investisseurs de BITCONNECT », peut-on lire dans le document de cour.

Le recours intenté au nom de six investisseurs initiaux ayant perdu près de 800 000 $ vise l'entreprise ainsi qu'une demi-douzaine de dirigeants et recruteurs sur les réseaux sociaux. La procédure laisse la porte ouverte à l'inclusion d'autres dirigeants ou acteurs pertinents à la poursuite.

Un recours a aussi été intenté au Kentucky.

FILIÈRE ACN

Jean-Simon Labrèche n'est personnellement visé par aucun de ces recours, qui concernent notamment BitConnect International PLC.

M. Labrèche a démarré sa propre entreprise de lavage de vitre à Gatineau vers 2008, avant de s'impliquer dans ACN. La société de vente multiniveau offre, entre autres, des produits et services de télécommunications. En 2004, elle a été accusée de vente pyramidale par le Bureau de la concurrence du Canada, mais un juge de la Nouvelle-Écosse a statué qu'il n'y avait pas suffisamment de preuves pour la tenue d'un procès. Avant de devenir président des États-Unis, Donald Trump a été un porte-étendard d'ACN pendant plusieurs années.

Le compte Facebook de M. Labrèche témoigne d'un intérêt croissant pour la cryptomonnaie au cours des derniers mois. Lors d'un voyage en Thaïlande vers le mois d'août, il commence à accompagner ses photos de mots-clics comme #cryptocurrency (cryptomonnaie) et #bitcoin.

En octobre, lors d'un autre voyage à Pattaya, en Thaïlande, les premières mentions de BitConnect apparaissent sous la forme du mot-clic #bcc. BCC est l'abréviation du BitConnect Coin, la monnaie d'échange créée par la plateforme et qui était remise aux investisseurs en échange de bitcoins et d'une promesse de rendements faramineux sur leur investissement. Une vaste conférence de l'entreprise se déroulait durant son séjour dans la station balnéaire. M. Labrèche était accompagné d'au moins deux autres entrepreneurs canadiens issus d'ACN : Glen Williams, d'Ottawa, et Maxime Rouleau, de Lanaudière.

C'est dans un document publié sur un site web gouvernemental au Royaume-Uni qu'un Jean Simon Labrèche est désigné comme l'un des dirigeants de BitConnect International PLC depuis le 26 septembre. On indique toutefois que ce Jean Simon Labrèche est domicilié au Royaume-Uni et a la nationalité de ce pays, comme tous les autres dirigeants listés dans le document. C'est aussi le cas de Le Thi Thannh Huy, qu'on retrouve sur une photo publiée par M. Labrèche sur Facebook lors d'un voyage à Dubaï en décembre, photo qu'il a également accompagnée du mot-clic #bcc.

« NOM UTILISÉ ILLÉGALEMENT »

Selon son avocat, tant le nom de M. Labrèche que celui d'autres personnes ont été erronément inscrits dans ces documents. « À ce qu'on comprend, il y a d'autres administrateurs qui seraient cités sur des documents d'Angleterre qui ne seraient pas des administrateurs. Donc, nous essayons d'éclaircir la situation », a déclaré Christian Deslauriers.

« Monsieur se retrouve dans une situation où son nom est illégalement utilisé par des gens inconnus pour l'instant comme étant sur un conseil d'administration d'une compagnie qui s'appellerait BitConnect, alors qu'il n'a rien à voir avec l'administration de cette compagnie-là », a ajouté l'avocat de la région d'Ottawa. 

« Donc, présentement, il y a des plaintes qui vont être faites aux services policiers par rapport à l'utilisation de son identité de façon illégale, et il n'est pas impossible non plus qu'il y ait des recours qui soient pris contre la compagnie », dit Me Deslauriers.

BitConnect n'avait pas répondu aux questions de La Presse au moment d'écrire ces lignes.

Fondée en février 2016, la plateforme d'échanges et de prêts a rapidement gagné en popularité grâce à la flambée du prix des cryptomonnaies et une approche basée sur la vente multiniveau, offrant des récompenses pour le recrutement de nouveaux membres. Elle a fermé abruptement en janvier, après que les régulateurs de deux États américains lui eurent ordonné de cesser ses activités. Mais l'histoire de la plateforme pourrait se poursuivre : l'entreprise a lancé des appels de contributions financières au cours des derniers jours pour lancer une nouvelle devise qu'elle appelle BitConnectx.

Jonathan Hamel, de l'Académie Bitcoin, a souligné hier que plusieurs membres de la communauté s'attendaient à un tel scénario dans le cas de BitConnect. « Dès le tout début, la communauté Bitcoin a vraiment mis en garde contre ça. Beaucoup de drapeaux rouges... », a noté le fondateur de l'organisme qui fait de la formation et de la consultation dans le domaine des cryptomonnaies.

M. Hamel convient que l'absence de régulation dans le domaine permet que de telles situations surviennent mais insiste pour dire qu'il ne faut pas généraliser et laisser des situations comme celle-ci faire de l'ombre à des monnaies légitimes.

En fin de journée hier, le BitConnect Coin (BCC) s'échangeait à environ 9 $US. Il avait atteint un sommet de plus de 460 $US à la fin du mois de décembre. Sa chute a coïncidé avec celle de la valeur du bitcoin, qui est passée de plus de 19 000 $ à moins de 10 000 $ en six semaines.

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STRATAGÈME DE PONZI


La Gendarmerie royale du Canada explique sur son site web qu'un stratagème de Ponzi « consiste à promettre un rendement ou des dividendes beaucoup plus élevés que ceux des investissements traditionnels - sans toutefois mentionner à l'investisseur que le "rendement" vient en fait de son propre argent, ou de celui des investisseurs arnaqués après lui. [...] L'opération pyramidale, aussi appelée commercialisation à paliers multiples, est une variante de combine à la Ponzi dans laquelle les participants s'enrichissent non pas en vendant un produit, mais en recrutant de nouveaux participants et en leur faisant payer des frais d'adhésion ». Les allégations portant sur l'existence d'un tel stratagème dans le cas de BitConnect n'ont pas été prouvées en cour.