Adoptée à l'unanimité par la Chambre des communes et le Sénat cet automne, la nouvelle Loi sur la protection des sources journalistiques pourrait guider la Cour suprême du Canada dans la cause du journaliste de Vice Media Ben Makuch, dans une affaire qui oppose la liberté de la presse et les pouvoirs d'enquête des services policiers.

C'est du moins ce que croient le sénateur Claude Carignan, parrain de la Loi sur la protection des sources journalistiques, et Christian Leblanc, avocat spécialisé en droit des médias et associé principal au cabinet Fasken Martineau.

La semaine dernière, le plus haut tribunal du pays a confirmé son intention d'entendre en appel la cause de M. Makuch. Ce dernier conteste le jugement de la Cour d'appel de l'Ontario qui l'oblige à remettre à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) son matériel journalistique utilisé pour sa série d'articles sur un homme de Calgary soupçonné d'activités terroristes.

Si la nouvelle loi protégeant les sources journalistiques ne sera pas forcément au coeur des plaidoiries des avocats de M. Makuch, elle pourrait tout de même faire partie de l'éventail des arguments qu'ils soumettront aux neuf juges de la Cour suprême du Canada, selon le sénateur Claude Carignan.

« Cette loi ne peut pas s'appliquer de manière rétroactive. Il faudra aussi voir les ordonnances qui pourraient être rendues à la suite de la décision de la Cour suprême », a ainsi affirmé M. Carignan.

« C'est sûr que la Cour devra tenir compte de la volonté du législateur d'accorder une protection aux sources des journalistes. La loi a été adoptée à l'unanimité par les deux Chambres », dit le sénateur.

La cause du journaliste Ben Makuch a fait la manchette en 2014 après la publication de trois articles qu'il a rédigés sur le rôle de Farah Shirdon au sein de l'organisation Daech - également connu sous le nom de groupe armé État islamique - en Irak. Les textes de M. Makuch faisaient notamment état de communications entre lui et Farah Shirdon, par l'entremise d'une application de messagerie texte.

CAPTURES D'ÉCRAN ET TEXTOS

La GRC avait obtenu du tribunal une ordonnance de communication, en vertu du Code criminel, qui obligeait Vice Media et son reporter à remettre à la police des documents et données liés à ces communications. La GRC voulait surtout obtenir des captures d'écran et des registres de ces échanges de textos.

M. Makuch et Vice Media ont tenté de faire invalider l'ordonnance, en soutenant que les sources journalistiques auraient ensuite peur de se confier. Toutefois, le tribunal de première instance a rejeté cette requête, tout comme plus tard la Cour d'appel de l'Ontario. La GRC a plaidé avec succès que ces informations étaient essentielles à son enquête concernant de sérieuses allégations liées à la sécurité nationale.

Selon l'avocat Christian Leblanc, la nouvelle loi adoptée par le Parlement pourra sans doute « inspirer la Cour sur les critères que le législateur voulait adopter » relativement à la protection des sources.

Toutefois, il a souligné que « le mandat dans le cas de Vice a été émis avant l'adoption de la loi et elle n'a pas d'effet rétroactif ».

« La loi ne peut pas être plaidée directement, mais certainement indirectement pour guider la Cour suprême dans cette cause. On ne peut pas dire que c'est un premier test pour la loi parce que la cause ne porte par sur la loi ou son interprétation. Mais on peut certainement dire que la loi est susceptible d'inspirer la Cour », a dit M. Leblanc.

M. Makuch et son avocat ont récemment plaidé que la GRC devrait renoncer à son ordonnance, puisque selon l'armée américaine, Farah Shirdon aurait été tué en 2015. Mais une confusion demeure sur cette information, et la GRC préfère aller jusqu'au bout.

Le porte-parole de Vice, Chris Ball, s'est dit ravi de voir que la Cour suprême se penche sur cette affaire, qui va selon lui bien au-delà de Ben Makuch. « Il s'agit de permettre à tous les journalistes d'exercer leur métier sans peur ou ingérence de l'État », a-t-il dit jeudi dernier.

- Avec La Presse canadienne

Photo Adrian Wyld, La Presse canadienne

Le sénateur Claude Carignan