Relevée provisoirement de ses fonctions à la fin août pour avoir annoncé à un juge qu'elle se retirait d'un procès en raison de l'impossibilité de recourir à un témoin expert, une chevronnée procureure de la Couronne de Montréal spécialisée dans les causes de meurtre contre-attaque.

Par le biais de son association, l'Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales (APPCP), Me Geneviève Dagenais vient de déposer devant la Commission de la fonction publique deux «avis de mésentente», dont La Presse a obtenu copie.

Dans ces documents, l'APPCP demande le retrait de la suspension administrative - relevé provisoire - avec traitement d'un mois imposée à Me Dagenais, l'annulation d'une suspension sans traitement de dix jours imposée par la suite et enfin, une compensation de 50 000 $ à titre de dommages pour atteinte à la réputation, dommages moraux et punitifs, en raison des préjudices subis.

Un «avis de mésentente» est un recours prévu dans la convention collective dont un procureur (e) peut se prévaloir s'il n'est pas d'accord avec une décision de son employeur. Cela s'apparente, si on veut, aux griefs déposés récemment par des policiers du SPVM contre leur employeur, dans lesquels ceux-ci ont réclamé de fortes sommes d'argent pour des préjudices qu'ils disent avoir subis.

Mesure disciplinaire déguisée

Dans une lettre envoyée le 25 septembre à Me Dagenais lui annonçant sa suspension sans traitement de dix jours, son employeur soutient qu'elle a manqué de loyauté et fait preuve d'insubordination en s'adressant au juge, en tenant des propos inappropriés à l'égard de ses supérieurs et en se retirant du dossier malgré la demande contraire de ses patrons.  

«La décision d'imposer à Me Dagenais un relevé provisoire est sans fondement et constitue une mesure disciplinaire déguisée» qui contrevient à la convention collective des procureurs, écrit Me Johanne Drolet, qui a rédigé l'avis de mésentente de l'APPCP.

L'Association rappelle qu'un relevé provisoire est une décision appropriée uniquement dans les cas de faute grave ou de situation d'urgence, et considère que les mesures prises contre Me Dagenais sont «punitives et non fondées».

L'APPCP croit que Me Dagenais a respecté son code de déontologie, qui a, dit-elle, préséance sur n'importe quelle directive ou consigne de l'employeur.

L'Association ajoute que l'une des patronnes de Me Dagenais a tenu des propos diffamatoires et tendancieux à l'endroit de celle-ci en déclarant à des collègues de la procureure suspendue «qu'ils ne savaient pas toute l'histoire».

«Nous sommes derrière Me Dagenais. Nous allons la soutenir dans ses démarches. Nous pensons que le dépôt d'un avis de mésentente est justifié et nous espérons que Me Dagenais va obtenir justice», a déclaré à La Presse le président de l'APPCP, Me Guillaume Michaud, qui a toutefois refusé de commenter directement le dossier.

«Le DPCP ne commente pas les questions de relations de travail. Ce sont des questions de nature privée qui ne sont pas discutées sur la place publique», a, pour sa part, simplement répondu le porte-parole de l'employeur, Me Jean-Pascal Boucher.

Aucune date n'a encore été fixée pour la suite des choses.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le (514) 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l'adresse postale de La Presse.

La chronologie des événements

17 juillet : Me Dagenais, qui s'apprête à assurer la poursuite dans un procès pour meurtre à Montréal, écrit au juge Jean-François Buffoni de la Cour supérieure pour lui expliquer qu'en raison d'un manque de ressource, elle ne peut avoir recours à un témoin expert psychiatre. Elle lui annonce du même souffle qu'elle se retire du dossier, car elle ne croit pas aux chances d'un verdict de culpabilité.

22 août : Me Dagenais remet une copie de la lettre à son employeur, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP)

29 août : Son employeur lui impose un relevé provisoire - une suspension administrative avec traitement - de 30 jours

Premier septembre : L'Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales met en demeure le DPCP de mettre fin à la suspension de Me Dagenais, en vain

25 septembre : Le Directeur des poursuites criminelles et pénales met fin au relevé provisoire et lui impose une suspension sans traitement de dix jours ouvrables, jusqu'au 10 octobre prochain

29 septembre : L'Association des procureurs de la Poursuite, au nom de Me Dagenais, dépose un avis de mésentente devant la Commission de la fonction publique

11 octobre : En principe, Me Dagenais retournera au travail. Le procès auquel elle devait prendre part, celui d'Ahmad Nehme, a débuté et la Poursuite est assurée par Me Éric Côté. Un témoin expert psychiatre a été embauché.