Une artiste québécoise se lance dans une bataille juridique à la David contre Goliath contre des géants internationaux pour défendre ses droits d'auteur sur un concept de peluches créé il y a 40 ans. Claude Bouchard réclame 22 millions de dollars à l'UNICEF et à IKEA pour avoir vendu des millions de peluches qui seraient des copies de ses créations.

Dans une poursuite déposée cette semaine à la Cour supérieure à Montréal, l'artiste multidisciplinaire reproche au Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNICEF) d'avoir plagié son concept de peluches et de l'avoir commercialisé dans les magasins IKEA du monde entier pour une campagne caritative en faveur de l'éducation des enfants.

L'organisme de bienfaisance international a vendu les jouets de l'artiste montréalaise de 1994 à 2005 dans sa boutique de la rue Saint-Denis, soutient-on dans la poursuite. On allègue que l'UNICEF avait ainsi des «connaissances privilégiées» du concept de peluches conçues à partir de dessins d'enfants de Claude Bouchard.

Cette dernière reproche à l'UNICEF d'avoir «trahi» sa confiance et sa bonne foi en «faisant bénéficier quelqu'un d'autre de [son] oeuvre».

Puis, en 1996, Claude Bouchard a présenté devant des dirigeants de l'UNICEF de New York, de Toronto et de Genève un projet d'affaires pour vendre à l'international ses poupées, allègue-t-on dans la poursuite. Trois modèles de peluches auraient d'ailleurs été conservés par l'organisme onusien. Or, son projet n'aurait pas été retenu, parce que l'artiste n'avait pas les ressources pour produire ses jouets à grande échelle.

Sept ans après ce refus, l'UNICEF a lancé la campagne «Des peluches pour l'éducation» avec IKEA pour ramasser des fonds grâce à la vente de jouets. En 2014, IKEA a modifié le design des jouets du programme en commercialisant 10 peluches faites à partir de dessins d'enfants à la suite d'un concours. Claude Bouchard soutient avoir découvert les poupées de la collection Sagoskatt en janvier 2016 au magasin IKEA du boulevard Cavendish, à Montréal.

Une peluche créée par Claude Bouchard.

Des «connaissances privilégiées»



Selon l'artiste d'expérience, dont les jouets ont été exposés dans plus de 60 foires et expositions dans le monde, l'UNICEF a profité de leurs «liens d'affaires étroits» pour engranger des sommes importantes en vendant ses peluches plagiées dans les magasins IKEA. Depuis 1993, l'organisme onusien connaissait «intimement les peluches» de la Québécoise et ne pouvait ignorer leur existence compte tenu de la «commercialisation à l'échelle de la planète des peluches» de Claude Bouchard.

«La collection de jouets à partir de dessins d'enfants offerte par le GROUPE IKEA ne pouvait ostensiblement être créée sans l'aide de l'UNICEF et les connaissances privilégiées qu'elle possédait sur les peluches à partir de dessins d'enfants de la demanderesse», allègue-t-on dans la poursuite.

Plus de 14 millions de peluches de cette collection ont été vendues dans les magasins IKEA de 2014 à 2016, avance l'artiste dans le document. Comme l'UNICEF aurait touché 1,44 $ en redevances pour chaque jouet vendu, l'artiste montréalaise réclame 20 952 000 $ à l'UNICEF en vertu de la Loi sur le droit d'auteur, à titre de restitution de profits. Dans sa poursuite, elle réclame également 55 000 $ à IKEA Canada, 810 000 $ à IKEA Systems, établie aux Pays-Bas, et 200 000 $ aux trois parties en dommages-intérêts pour son «préjudice psychologique».

Outre le concept de peluches créées à partir de dessins d'enfants, les poupées de la collection Sagoskatt reprennent toutes les «caractéristiques essentielles» des créations de Claude Bouchard, notamment des yeux en tissu et une bouche découpée dans le cuir, «sans rien y ajouter».

Le cas Robinsion

Cette affaire rappelle la lutte juridique titanesque menée par l'auteur Claude Robinson contre un consortium de maisons de production qui avait plagié son oeuvre Robinson Curiosité. Le cas de la Montréalaise est d'ailleurs «très similaire» à celui de Claude Robinson, soutient l'avocat de l'artiste, Me Jean Robert. Le cas allégué de plagiat correspond ainsi aux critères établis par la Cour suprême dans l'affaire Robinson, ajoute-t-il.

«En résumé, la Cour suprême a dit que ce n'est pas nécessaire que ce soit une copie absolument conforme de l'oeuvre de l'artiste. Il suffit qu'il s'y retrouve des éléments substantiels de l'oeuvre de l'artiste», explique Me Robert.

Dans un courriel en anglais, IKEA Canada a affirmé à La Presse qu'aucun porte-parole n'était disponible hier pour commenter le dossier. Une porte-parole d'UNICEF Canada a indiqué n'avoir «aucune information» sur cette affaire. Par l'entremise de son avocat, l'artiste Claude Bouchard a décliné notre demande d'entrevue.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

Claude Robinson