Ce devait être un procès important en vue des élections municipales à Longueuil. Il n'en sera rien. Une militante qui disait craindre un conseiller municipal menaçant s'est littéralement enfuie du palais de justice quelques minutes avant le début des audiences, hier, forçant l'abandon des procédures criminelles.

La procureure de la Couronne, Me Amélie Savard, était désemparée lorsqu'elle est revenue dans la salle d'audience longueuilloise, après avoir couru à la suite de la plaignante, son témoin le plus important, qui venait de lui faire faux bond sans prévenir alors que le procès devait débuter.

« Je n'ai pas été assez rapide pour rattraper Mme Beaudry. Je vais déclarer que nous n'avons pas de preuve dans ce dossier », a-t-elle avoué.

Le dossier a immédiatement été fermé. Dans l'assistance, les airs allaient de l'hilarité à la stupéfaction devant ce revirement particulièrement inhabituel.

Lettre d'un mort

L'affaire tire sa source de la rude course à la succession de la mairesse Caroline St-Hilaire au sein du parti Action Longueuil. Au début de l'année, lorsque la mairesse a annoncé qu'elle ne se représenterait pas aux prochaines élections, deux camps se sont formés autour de deux candidates à la direction du parti : Sylvie Parent et Josée Latendresse.

En avril, peu avant le vote pour choisir une nouvelle chef de parti, la tension était à son comble entre les deux camps. Danièle Beaudry, bénévole qui faisait des appels téléphoniques pour le camp de Sylvie Parent, aurait découvert un sac contenant des cendres devant sa porte. Une lettre accompagnait le curieux paquet. Elle était signée par son défunt frère, conseiller municipal jusqu'à sa mort, quelques années plus tôt. Le texte lui reprochait d'appuyer Sylvie Parent.

« Tu sais combien je la haïssais. J'espère que tu as des remords à chaque fois que tu raccroches le téléphone », lui écrivait l'auteur de la missive.

Mme Beaudry a commencé à avoir peur. C'est alors qu'un conseiller de la mairesse St-Hilaire est entré en scène. Partisan de Sylvie Parent lui aussi, Stéphane Bouchard s'est souvenu qu'il avait entendu un conseiller municipal partisan du camp adverse tenir des propos menaçants envers Danièle Beaudry, dans son bureau.

Il a contacté la police pour rapporter que le conseiller avait dit : « Si je l'avais devant moi, je la tuerais », au sujet de Mme Beaudry, quelques semaines auparavant.

Ce conseiller, Xavier Léger, plus jeune élu du conseil municipal longueuillois, était justement très proche du défunt frère de Mme Beaudry, celui qui avait apparemment écrit une lettre de l'au-delà. Tout semblait concorder.

Procédure abandonnée

Il n'y avait pas là matière à des accusations criminelles contre Xavier Léger. Mais la police de Longueuil et le Directeur des poursuites criminelles et pénales n'ont pas pris de risque. Ils ont intenté une action en vertu de l'article 810 du Code criminel, qui permet de traîner un individu devant un juge et de lui imposer une série de conditions, parfois très contraignantes, lorsque les autorités ont des raisons de croire qu'il s'apprête à commettre un crime.

Il est possible par cette procédure de forcer quelqu'un à respecter un couvre-feu, de lui interdire de communiquer avec une victime potentielle ou de lui défendre d'écrire des lettres au nom de personnes défuntes.

L'affaire devait être débattue hier. Mais l'avocat de Xavier Léger, Me Alexandre Bergevin, est arrivé au palais de justice très préparé. Les témoins de la poursuite ont été avisés qu'ils allaient être interrogés de façon serrée sur leurs motivations, la lutte politique à Action Longueuil et leurs conflits passés avec Xavier Léger. Mme Beaudry avait notamment eu une mésentente avec le jeune conseiller municipal au sujet de la vente d'un immeuble qu'elle détient rue Saint-Charles, dans le Vieux-Longueuil.

La militante a préféré ne pas discuter de tout ça en cour et elle s'est désistée.

«Je n'ai jamais menacé quiconque»

Stéphane Bouchard, qui devait témoigner en appui à Mme Beaudry, ne s'est pas formalisé de la tournure de l'affaire quand La Presse l'a joint à son bureau du cabinet de la mairesse. « Ce qui était important pour moi, c'est la sécurité de Mme Beaudry et sa santé. Je pense que l'objectif a été atteint », a-t-il déclaré.

Xavier Léger, lui, s'est montré très soulagé en sortant de la salle d'audience. « Ce n'est jamais agréable de faire face à de telles allégations. Mais j'ai toujours gardé la même ligne : je n'ai jamais menacé quiconque de ma vie », dit-il.

Il ne croit pas que cette mésaventure nuira à ses chances de réélection dans le district Georges-Dor cet automne. « Je pense que les citoyens sont capables de départager le vrai du faux », a-t-il lancé avant de quitter le palais de justice.