Pas moins de 49 policiers, dont quatre commandants, ont été interrogés par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) en 2016 pour tenter de trouver qui avait fourni des informations jugées sensibles à des journalistes.

Nommée « F8 », l'enquête du SPVM a pris naissance après qu'un article de Daniel Renaud dans La Presse a révélé que des policiers avaient eu comme mot d'ordre de ne pas procéder à l'arrestation de certains membres de gangs de rue dans le cadre d'une opération policière à Montréal-Nord.

Cette enquête était « hors du commun », a admis mercredi devant la commission Chamberland l'ancien patron des affaires internes du SPVM, Costa Labos. Elle était menée par un comité composé de deux cadres et quatre commandants du SPVM. Elle n'a toutefois pas permis de découvrir l'origine de la fuite.

Un questionnaire avait été préparé pour mener à bien les « entrevues enregistrées et archivées », révèle un document déposé mercredi. Au cours de ces entrevues, on demandait entre autres aux policiers s'ils connaissaient Daniel Renaud, Vincent Larouche ou Daphné Cameron, tous trois journalistes à La Presse, ou tout autre journaliste. On avisait également les policiers rencontrés qu'ils seraient « sanctionnés » s'ils mentaient, a précisé l'avocat Christian Leblanc, qui représente sept médias devant la Commission.

Dans le cadre de cette enquête, la liste des courriels entrants et sortants de deux hauts responsables et d'un agent du SPVM a été obtenue, a confirmé mercredi Costa Labos.

Les enquêteurs du projet F8 ont également obtenu la liste de leurs entrées et sorties du poste de quartier 39, qui dessert Montréal-Nord, pendant la matinée du 13 avril 2016, soit deux jours avant la publication de l'article de Daniel Renaud sur l'opération policière dans Montréal-Nord.

Par ailleurs, les registres du photocopieur de ce poste de quartier, qui recensent les « télécopies, scans et courriels, ainsi que le nombre de photocopies effectuées, fut analysé », apprend-on dans un document de la Division des affaires internes intitulé Résumé du projet F8.

« Pas heureux des fuites »

Devant la Commission, où il témoigne depuis deux jours, l'ancien patron des affaires internes Costa Labos a affirmé que l'enquête F8 avait été déclenchée à la demande du bras droit de Philippe Pichet, Mario Guérin. Ce dernier n'était « pas heureux des fuites », a-t-il précisé.

Qui plus est, après la parution de l'article de La Presse concernant les évènements de Montréal-Nord, il avait été rapporté par les médias que quelques jours plus tard, lors d'une rencontre devant de hauts responsables du SPVM filmée à son insu et à laquelle participaient plusieurs cadres du SPVM, Mario Guérin avait déclaré qu'il voulait « briser la culture du coulage ». « Philippe va s'occuper de ça », avait-il également soutenu.

« M. Guérin ne voulait pas que dès que quelque chose sort dans les médias, ça se retrouve automatiquement aux affaires internes. Il a créé cette équipe, ainsi, si d'autres choses arrivaient dans le futur, les gestionnaires prendraient leurs responsabilités plutôt que d'aller à la Division des affaires internes », a dit mercredi Costa Labos.

Dans un rapport de recommandations publié à la suite de l'enquête F8 et destiné à Mario Guérin, le comité écrit qu'il a « réussi à faire les premiers pas vers une démarche qui deviendra, on l'espère, la façon de procéder lors de situations similaires ».

« Est-ce que ça veut dire que cette manière de procéder, ça devrait être davantage comme ça plutôt que de passer par la Division des affaires internes ? », a demandé l'avocat Christian Leblanc. « Oui », a répondu Costa Labos.

« Incompréhension face aux décisions prises »

Le comité note également que les entrevues des policiers ont mis en lumière « l'incompréhension du personnel face aux décisions prises ». Parmi les « exemples concrets », on cite la « sortie médiatique du Directeur sur les ondes du 98,5 versus les consignes spécifiques pour procéder à des arrestations à l'extérieur du secteur de Montréal-Nord ». On relève aussi le « sentiment que les employés de première ligne n'ont plus la latitude d'évaluer le risque et d'agir ».

En entrevue à l'émission de Paul Arcand, Philippe Pichet s'était défendu, le 13 avril 2016, d'avoir interdit aux policiers d'intervenir dans le cadre d'une émeute survenue à Montréal-Nord. « La stratégie qui a été choisie était d'être moins visibles, ça ne veut pas dire qu'il y avait moins de policiers. C'était le fait de faire moins de provocation », avait-il dit, avant d'affirmer que les policiers « avaient fait des interventions ».

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Une information retirée d'un document remis au DPCP

L'ex-patron de la Division des affaires internes Costa Labos a admis qu'il avait fait retirer une information contenue dans le rapport d'un de ses enquêteurs qui devait être remis au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), dans le dossier de la fuite médiatique sur la contravention remise au maire Denis Coderre en 2012.

Dans son rapport original, l'inspecteur Normand Borduas faisait état d'une « technique d'enquête secrète » qui ne peut pas « être révélée ». Or, elle ne figure pas au rapport d'enquête révisé qu'a obtenu le DPCP parce qu'on soupçonnait un policier d'abus de confiance.

Selon Costa Labos, il n'était pas nécessaire de détailler cette technique d'enquête. « Les enquêteurs mettent des choses parfois dans le précis qui n'y vont pas, c'est plus approprié de les mettre dans la chronologie », a-t-il dit.

Le document déposé devant la commission Chamberland est quant à lui caviardé, si bien qu'il est impossible de savoir de quelle technique d'enquête il s'agit ni quelle personne l'avait autorisée.

Aujourd'hui : le témoignage de Costa Labos se poursuit. Annie Landry, analyste à la Division des affaires internes, suivra.