Un homme accusé d'un meurtre sordide vient de s'en tirer sans procès à Montréal en raison d'un arrêt des procédures pour délais déraisonnables, le troisième en seulement un mois. À Québec, les partis d'oppositions fulminent et demandent l'adoption de la clause dérogatoire pour suspendre temporairement les effets de l'arrêt Jordan.

Van Son Nguyen était détenu depuis janvier 2013 pour avoir tué un homme à coups de machette dans le quartier Saint-Michel. Ce citoyen britannique d'origine vietnamienne était accusé du meurtre non prémédité de Viet Phuong Trinh, un Montréalais qui habitait sur la 51e avenue, près du boulevard Pie-IX. Le crime est particulièrement sordide : la victime a été poignardée plus d'une trentaine de fois, de la tête aux pieds. Une plantation de pot se trouvait à l'intérieur du logement de la victime, où le corps a été retrouvé. 

L'accusé de 52 ans devait subir son procès cet automne, mais le juge Daniel W. Payette de la Cour supérieure a considéré que les quelque 55 mois passés derrière les barreaux sans être jugé étaient déraisonnables. Pourtant, cette affaire était «particulièrement simple» et ne présentait «aucune difficulté particulière», souligne le juge dans sa décision rendue vendredi.

Depuis juillet, l'arrêt Jordan limite à 30 mois le délai entre la mise en accusation d'un suspect et le début de son procès en Cour supérieure, sauf si ces délais sont causés par l'accusé. La poursuite peut toutefois demander l'application de mesure transitoire exceptionnelle lorsque ce plafond de deux ans et demi est excédé. 

Dans cette affaire, le juge a attribué à la poursuite la majorité des délais. Ceux-ci s'expliquent «beaucoup plus par des erreurs et des impairs du ministère public» que par les délais institutionnels qui accablent la métropole. Par exemple, en 2015, le juge coordonnateur a proposé de devancer le procès de 18 mois. Mais l'avocat de la poursuite s'est déclaré indisponible et n'a jamais offert de transférer le dossier à un collègue.

«Le défaut du système de justice criminelle de tenir des procès avec équité, rapidité et efficacité mine la confiance de la société dans ce système et brime les droits tant des victimes que des inculpés. Les Canadiens ne peuvent le tolérer», écrit le juge Payette. Celui-ci concède que le crime est «grave», mais soutient que la gravité du crime ne «permet pas de mettre ses droits constitutionnels au rancart».

L'opposition demande l'adoption de la clause dérogatoire

À l'Assemblée nationale, l'opposition fulmine devant la libération d'un troisième accusé de meurtre. Elle réitère sa demande d'adopter la clause dérogatoire pour se soustraire à l'arrêt Jordan. 

Cette clause aurait pour effet de suspendre l'application d'un article de la Charte canadienne des droits prévoyant le droit d'être jugé dans un délai raisonnable. C'est sur ce même article que s'appuie l'arrêt Jordan pour fixer des délais.

La décision du juge Payette est d'ailleurs tombée 24 heures après que la Coalition avenir Québec eut déposé un projet de loi sur le recours à la clause dérogatoire pour une période d'un an, le temps que le système de justice « se remette sur pied ». « Cette autre affaire démontre l'importance que le gouvernement appelle le projet de loi le plus rapidement possible pour éviter que ce genre de situation là ne se reproduise », a affirmé le député caquiste et porte-parole en matière de Justice, Simon Jolin-Barrette.

Pour l'opposition, le plan d'action de 175 millions en quatre ans annoncé en décembre par la ministre Stéphanie Vallée afin de réduire les délais judiciaires ne produit pas les effets escomptés à court terme. « Ça va prendre encore combien d'accusés de meurtre avant que le gouvernement décide d'agir et d'utiliser la clause dérogatoire ? » a lancé la députée péquiste Véronique Hivon. « Ce qu'on ressent, c'est un très fort sentiment d'indignation dans la population. On est carrément en train de perdre confiance dans notre système de justice, et ça, c'est très grave. »

Le mois dernier, Sivaloganathan Thanabalasingham avait échappé à son procès en raison de l'arrêt Jordan. Il avait été accusé du meurtre de sa femme en août 2012 et n'avait toujours pas été jugé. Quelques jours plus tard, Ryan Wolfson avait à son tour été libéré de l'accusation de meurtre portée contre lui. Il avait également été accusé cinq ans plus tôt. Ce dernier est toutefois resté derrière les barreaux, puisqu'il purge une peine de 25 ans de prison. Comme Van Son Nguyen n'est pas citoyen canadien, il risque néanmoins d'être déporté du pays.