Les récentes disparitions de travailleurs agricoles du Guatemala ont permis de lever le voile sur une triste histoire d'abus de confiance. Une quinzaine de travailleurs auraient ainsi été floués par un de leurs compatriotes, à la tête d'une firme de placement de main-d'oeuvre étrangère, qui leur aurait fait perdre plusieurs milliers de dollars, a appris La Presse.

Le propriétaire de l'entreprise de placement Les Progrès inc., Esvin Cordon, aurait usé de manigances pour inciter les travailleurs étrangers, dont le mandat achevait au Canada, à déserter et à quitter leur employeur pour ainsi basculer dans la clandestinité.

En échange, il leur aurait promis faussement de leur faire obtenir un permis de travail, moyennant des débours pouvant atteindre 4500 $, prélevés à même leurs chèques de paie. Il leur aurait également proposé d'aller rencontrer un avocat, à Montréal, pour monter leurs dossiers d'immigration.

Sur la foi de ces informations, a-t-on appris, une enquête criminelle a été déclenchée par l'Agence des services frontaliers du Canada à l'endroit de cet individu. Il a été arrêté le 26 octobre, puis relâché, sur promesse de comparaître.

L'homme d'affaires a refusé de répondre à nos questions.

« Vous pouvez appeler mon avocat, a-t-il dit. Mais si j'ai embauché ces travailleurs, ce n'était pas pour avoir des problèmes. »

« Il y a eu un mandat de perquisition à son endroit, mais je ne peux détailler davantage », a confirmé, pour sa part, le porte-parole de l'Agence, Dominique McNeely.

Sous le choc

Les travailleurs guatémaltèques qu'Esvin Cordon hébergeait - et qu'il faisait travailler dans des entreprises agricoles, notamment chez les producteurs de canneberges - ont également été arrêtés et incarcérés lors de cette perquisition menée à Victoriaville le mois dernier.

La Commission de l'immigration et du statut de réfugié les a entendus la semaine dernière. Ils étaient tous sous le choc.

« Nous ne sommes pas des criminels », a lancé l'un d'eux, dans un cri du coeur qui n'a pas laissé indifférent le commissaire au dossier.

« Je suis vraiment et sincèrement désolé de ce qui vous arrive, à vous et à vos compagnons », a tenu à préciser à maintes reprises le commissaire Louis Dubé.

« Je vous invite à collaborer avec la police, et vous pouvez faire confiance à notre système de justice, a-t-il ajouté. Je souhaite que le coupable paie pour son crime et que vous récupériez votre argent. »

Mais le mal est fait.

En vertu de la loi sur l'immigration, les travailleurs qui se sont placés dans l'illégalité ont fait face à une mesure de renvoi, qui vient d'être prononcée par la Commission. Ils devront rentrer dans leur pays, sans avoir la possibilité de revenir travailler au Québec au cours des 12 prochains mois, à moins d'une intervention du ministre de l'Immigration. Deux travailleurs ont par ailleurs demandé l'asile au Canada.

« Je sais que vous êtes de bonne foi, a insisté le commissaire. On vous a trompés. Vous êtes davantage des victimes que des coupables, c'est mon opinion. »

Salaire amputé



L'histoire de ces travailleurs est pathétique, comme l'a constaté leur avocate, Me Idil Omar Abdi, à Sherbrooke, qui a accepté de les représenter devant la Commission.

« Ces pauvres travailleurs croyaient pouvoir améliorer leur situation en travaillant pour l'agence de placement, rapporte l'avocate spécialisée en immigration. Mais ils ont vite déchanté.

« Ils m'ont raconté qu'ils se faisaient amputer une partie importante de leur salaire par leur employeur. Ça pouvait aller jusqu'aux deux tiers de leur salaire, soit environ 600 $ pour une semaine de travail de 70 heures. C'était pour payer leur "dette". » - Me Idil Omar Abdi

Cette dette, c'était le montant requis par l'employeur, qui leur avait fait miroiter qu'ils obtiendraient des « papiers » pour pouvoir se soustraire à la réglementation (restrictive) touchant les travailleurs temporaires étrangers.

Rappelons que, sous le gouvernement Harper, la réglementation touchant la main-d'oeuvre temporaire du Guatemala a été resserrée. Un travailleur guatémaltèque n'a plus le droit de venir travailler dans une ferme s'il a atteint la limite des 48 mois fixée par Ottawa. Les travailleurs du Mexique ne sont pas visés.

« C'est frustrant »

C'est avec la crainte de ne plus pouvoir exercer leur métier que ces ouvriers de la terre seraient tombés dans le filet tendu par l'entreprise de placement.

Plusieurs d'entre eux travaillaient alors pour une entreprise avicole de Victoriaville. « C'est frustrant, a réagi le propriétaire de la PME, Michel Légaré. J'ai payé de bonnes sommes pour faire venir ces travailleurs parce qu'ils sont indispensables pour la bonne marche de mon entreprise. Mais on me les a volés. »

Du côté de l'organisation FERME, qui recrute la main-d'oeuvre étrangère, le directeur général Denis Hamel a eu ce commentaire : « C'est vraiment triste de voir ces travailleurs se retrouver devant rien. Mais tout cela aurait pu être évité. »

« C'est l'inaction du gouvernement [fédéral], a-t-il blâmé, qui a imposé des contraintes avec sa limite de 48 mois cumulés et travaillés, qui a déclenché cette série de gestes illégaux. On en voit les résultats. »

Jusqu'à présent, plus d'une centaine de travailleurs du Guatemala manquent à l'appel. « On en perd cinq par semaine. Ça se poursuit », a-t-il conclu.