Six départs en neuf mois à la tête de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) placent l'organisme dans une situation aussi précaire qu'inusitée. Dans une semaine, il n'y aura plus quorum autour de la table des commissaires.

Aucune décision relevant de cette instance ne pourra être prise, à moins d'une nomination soudaine. Mais cette éventualité paraît difficile à envisager pour le moment : le gouvernement accuse l'opposition d'avoir rejeté deux candidatures qu'il lui avait proposées.

Le président par intérim, Camil Picard, demande depuis juin au gouvernement Couillard de pourvoir les postes vacants. Il assure toutefois que les opérations quotidiennes de la Commission ne sont pas menacées de paralysie.

Le cabinet de la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, responsable de la Charte des droits, soutient que des « dispositions » ont été prises pour procéder à des nominations.

« Nous explorons actuellement de nouvelles candidatures, considérant deux refus de l'opposition quant à des candidats potentiels à la présidence de la CDPDJ », a-t-on indiqué en fin d'après-midi, jeudi. Le Parti québécois et la Coalition avenir Québec disaient jusqu'alors à La Presse qu'aucune démarche n'avait été entreprise par le gouvernement au cours des derniers mois.

La nomination d'un membre de la Commission des droits de la personne doit être approuvée aux deux tiers de l'Assemblée nationale, comme c'est le cas pour le Vérificateur général, le Commissaire à l'éthique et le Protecteur du citoyen par exemple. Les tractations entre le gouvernement et l'opposition pour ce type de poste peuvent durer des semaines, des mois, voire des années dans des cas exceptionnels.

Cinq départs depuis février



Depuis février, cinq commissaires ont quitté leur poste, dont le président Jacques Frémont. Un sixième nom s'ajoutera bientôt à la liste : Renée Dupuis, vice-présidente. Sa dernière journée de travail sera le 21 octobre. La date n'est pas anodine : il s'agit de la prochaine réunion des commissaires. La présence de Mme Dupuis, rendue possible parce qu'elle a décidé de prolonger son mandat jusqu'à cette date, permet de justesse la tenue de la rencontre.

Car un quorum est exigé pour que les commissaires puissent se réunir officiellement et prendre des décisions. Il faut la présence d'au moins huit d'entre eux, sur un total de 13 postes (trois permanents, les autres à temps partiel). Or il n'y en aura plus que sept au lendemain du départ de Mme Dupuis.

Camil Picard a fait des démarches auprès du « bureau du premier ministre » et du Conseil exécutif - le ministère de M. Couillard - « pour qu'il y ait nomination de commissaires le plus tôt possible ».

« Ils m'assurent qu'ils comprennent la situation de la Commission et qu'ils vont tout faire pour régulariser la situation. Mais ils ne nous donnent pas de confirmation », déplore Camil Picard.

« Je ne veux pas qu'on me dise que je harcèle, mais je suis en contact régulier pour qu'on ne soit pas oublié. [...] Je ne suis pas astrologue, mais on m'a dit qu'on m'aiderait pour avoir un quorum au mois de novembre », ajoute-t-il dans une entrevue sollicitée par La Presse.

Les commissaires doivent se rencontrer le 28 novembre. Ils se réunissent chaque mois. C'est à cette occasion qu'ils adoptent des avis et des recommandations, notamment.

Camil Picard met la situation en perspective : « les opérations de la Commission » ne sont pas compromises, puisqu'« elles ne demandent pas des décisions de l'ensemble des commissaires tous les jours ».

Il relève qu'en raison des départs des derniers mois, il n'y a plus de représentant de minorités visibles, de personnes handicapées et de la communauté anglophone autour de la table des commissaires. « On souhaite une diversité de personnes qui ne pensent pas la même chose et ne viennent pas des mêmes milieux de la société québécoise. C'est de là que naissent des bonnes décisions de la Commission », fait-il valoir.

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Les six départs

Chez les commissaires permanents

Jacques Frémont : Le président de la Commission a quitté son poste le 13 avril dernier. Il est devenu recteur de l'Université d'Ottawa.

Renée Dupuis : La vice-présidente responsable du mandat partira le 21 octobre au terme d'un mandat de cinq ans.

Chez les commissaires à temps partiel

Hélène Simard : Elle a démissionné le 28 février. Elle avait été nommée en 2009.

Adelle Blackett : La professeure de droit à l'Université McGill a démissionné le 26 mai. Elle avait été nommée en 2009.

Emerson Douyon: Mort en juillet dernier, il était en poste depuis 1999.

Eva Ottawa : L'avocate et ex-Grand Chef du Conseil de la nation Atikamekw a été nommée présidente du Conseil du statut de la femme en septembre dernier. Elle était commissaire depuis avril 2015.

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La commission en bref

La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse est née en 1976 avec l'entrée en vigueur de la Charte des droits et libertés de la personne, adoptée un an plus tôt par l'Assemblée nationale. Elle est chargée de veiller au respect des dispositions de la Charte, des droits de l'enfant prévus à la Loi sur la protection de la jeunesse et de l'application de la Loi sur l'accès à l'égalité en emploi dans des organismes publics. Entre autres, elle enquête de sa propre initiative ou lorsqu'une plainte lui est adressée sur des cas présumés de discrimination. Elle a le pouvoir de signaler les dispositions de lois ou de projets de loi qui contreviendraient à la charte et de faire des recommandations au gouvernement.