L'application stricte de la Loi sur le tabac aux salons de chicha - une pipe à eau moyen-orientale - ne viole pas la Charte canadienne des droits et libertés pour cause de discrimination sur la base de la race ou de l'origine ethnique, a tranché la justice cet été.

Débouté, un café situé sur le boulevard de la Côte-Vertu à Montréal devra interdire à ses clients de fumer entre ses murs, à moins qu'il ne gagne en appel. Il a perdu, en déménageant, son droit acquis, et la Charte n'y peut rien, a tranché la Cour supérieure.

L'avocate du Café Jounieh plaidait « que la chicha représente une particularité et une importance pour de nombreuses communautés culturelles du Canada », écrit le juge François Duprat, dans sa décision rendue mi-juillet.

En ordonnant qu'on cesse d'y fumer, le gouvernement violerait donc « les principes d'égalité contenus dans la Charte [canadienne des droits et libertés] en ce que le Ministre refuse de prendre en compte une caractéristique personnelle d'un groupe minoritaire », toujours selon l'interprétation que fait le juge Duprat des arguments du Café Jounieh. Le Ministère « cible donc un aspect culturel d'un groupe minoritaire ».

Mais « cet argument n'a pas de valeur », a tranché le magistrat. Le juge Duprat souligne notamment qu'en tant qu'entreprise, le Café Jounieh n'est pas protégé par la Charte canadienne.

PERTE D'UN DROIT ACQUIS

Comme il était ouvert en 2005, au moment de l'adoption de la Loi sur le tabac, le Café Jounieh bénéficiait d'un droit acquis et pouvait donc poursuivre ses activités - comme un petit nombre d'autres salons de chicha ou de cigares dans la province.

« Monsieur Raphaël [le propriétaire] témoigne que son café chicha est devenu un lieu de rencontre pour des personnes issues du Moyen-Orient », lit-on dans le jugement. « Il décrit son café comme l'Égypte à l'extérieur de l'Égypte. »

Mais lorsque le commerce est incapable de renouveler son bail et déménage, en 2014, le Ministère considère que son droit acquis s'est éteint, puisqu'il ne s'applique qu'au local précédemment occupé.

« On prétend que c'est un droit acquis personnel, alors qu'eux prétendent que c'est relié au lieu. Le déménagement ne vient pas ajouter de nouveaux salons de cigares [ou de chicha], mais vient plutôt maintenir le statu quo », explique Me Patricia Chamoun, avocate du Café Jounieh.

Le juge a donné tort au propriétaire du café sur cette question technique, comme il l'avait fait pour l'argument basé sur la Charte canadienne des droits et libertés.

« Est-ce qu'on est déçus ? Oui. On est surpris. On est en appel », a expliqué Me Chamoun.

L'avocate dit que son client est particulièrement fâché par le fait qu'une grande quantité de salons de chicha illégaux prospèrent dans la province sans être inquiétés par le ministère de la Santé, selon lui.

La représentante du ministère de la Justice dans ce dossier, Me Stéphanie Garon, n'a pas rappelé La Presse.