Québec vient de perdre sa première bataille judiciaire contre l'utilisation d'« usines à bébés » indiennes par des couples d'ici, alors que la justice presse de clarifier les règles qui doivent régir cette pratique.

Dans un jugement rendu il y a quelques jours, la Cour du Québec a autorisé un Québécois à devenir le père de jumelles nées d'une mère porteuse rémunérée, liée à une clinique de Bombay qui fournit chaque année des centaines de bébés à des Occidentaux.

Québec s'y opposait, estimant que la stratégie employée par le couple «porte atteinte à la dignité humaine par l'instrumentalisation du corps de la femme et la marchandisation de l'enfant». C'était le premier affrontement lié à l'industrie indienne de la procréation devant la justice québécoise.

Mais la juge Viviane Primeau a refusé de faire porter le poids du dilemme par les bébés: «Le débat entourant la question des mères porteuses ne doit pas se faire aux dépens des enfants ici concernées», a-t-elle écrit, en faisant primer leurs intérêts et en reconnaissant leur filiation. 

La juge Primeau a rappelé au gouvernement ses responsabilités: «Il serait souhaitable que des règles claires soient édictées.»

C'est aussi l'avis du professeur Alain Roy, président du Comité consultatif du droit de la famille réuni par Québec pour faire la lumière sur ces questions: «J'espère qu'à un moment donné, le gouvernement va se réveiller» et moderniser les règles pour éviter que les couples ne se tournent vers des pays où l'on exploite des «servitudes humaines», a-t-il dit.

Il se fait cinglant. Après une rencontre avec la ministre de la Justice le mois dernier, «j'ai compris que le gouvernement n'avait pas l'intention d'aller de l'avant avec la réforme du droit de la famille».

Fuir l'incertitude

C'est en 2012 que Jonathan* a déposé sa demande d'adoption. Celle-ci visait les deux enfants nées d'une mère porteuse indienne fécondée par le sperme de son conjoint, Yves*. Yves s'est rendu en Inde pour chercher les jumelles et son nom figure sur leur acte de naissance. Ce qui n'est pas le cas de Jonathan, qui veut tout de même être reconnu comme leur père. D'où la procédure d'adoption.

En entrevue téléphonique, leur avocate confirme que le couple s'est tourné vers l'Inde en raison de l'incertitude qui plane au-dessus de la gestation pour autrui au Québec. Le Code civil prévoit qu'aucune entente passée dans ce domaine n'est valide: la mère porteuse pourrait garder l'enfant à l'issue de la grossesse et le couple pourrait changer d'avis la veille de l'accouchement. Toute compensation financière est interdite.

«Mes clients se sont dit que ce n'était pas prudent de faire appel à une mère porteuse ici au Québec. En Inde, le contrat est valide», a indiqué MJulie Lavoie. «Mes clients étaient très, très contents du jugement», a-t-elle ajouté.

Le contrat entre le couple ainsi que la mère porteuse et son mari prévoyait un versement de 30 000 $ à la clinique Rotunda - impossible de savoir quelle part de la somme lui a été remise. Par leur signature, les deux Indiens ont renoncé «à tous droits sur l'enfant».

«Tourisme procréatif»

Les modalités de cette entente «seraient, en droit québécois, abusives et contraires à l'ordre public», a répliqué le gouvernement devant la juge Primeau. Les protections relatives «à la dignité humaine, à la vie, à la liberté et aux droits à la sécurité de la personne» en sont violées.

Le professeur Alain Roy n'est pas en désaccord. «On sait tous que les [grossesses des] mères porteuses [en Inde] interviennent dans des conditions épouvantables, ça va contre nos valeurs, il y a une instrumentalisation du corps des femmes», a-t-il dit en entrevue.

Mais au bout du compte, le problème réside dans l'inaction du gouvernement, selon lui.

La juge Primeau «ne pouvait pas faire autrement que rendre ce jugement, compte tenu de l'état actuel du droit. L'intérêt de l'enfant doit primer, on ne peut pas faire payer par l'enfant des gestes dont il n'est pas responsable», a-t-il dit. «Tant et aussi longtemps qu'au Québec on ne clarifiera pas les choses, tant qu'on n'aura pas le débat, le tourisme procréatif va être une option intéressante pour les Québécois et les Québécoises.»

«Étant donné que le délai d'appel n'est pas atteint, il n'y aura pas de commentaire», s'est borné à affirmer le ministère de la Justice par l'entremise de son porte-parole Paul-Jean Charest.

*Prénoms fictifs