L'ex-juge de la Chambre de la jeunesse Andrée Ruffo est en litige devant les tribunaux avec le fisc fédéral. Elle soutient qu'elle exploite comme peintre une entreprise de dessin même si elle ne parvient pas à vendre ses toiles. L'Agence du revenu du Canada (ARC) soutient au contraire que le montant de 55 136 $ qu'elle veut déduire constitue des dépenses personnelles qui ne devraient pas être déductibles d'impôt.

La question au coeur du litige devant la Cour canadienne de l'impôt : quand pratique-t-on un passe-temps et quand exploite-t-on une entreprise ? Dans le cas de l'ex-juge Ruffo, l'entreprise de peintre qu'elle allègue exploiter n'a généré aucun revenu en 2010 et 2011, mais plutôt des pertes nettes de 55 136 $ durant ces deux années fiscales. Elle a notamment dépensé 25 911 $ en frais de voyage.

L'ex-juge, qui a défendu de façon acharnée et parfois controversée la cause des enfants en difficulté, a démissionné de la magistrature en 2006 alors que le Conseil de la magistrature recommandait au ministre de la Justice de la destituer. Le Conseil faisait valoir qu'Andrée Ruffo avait enfreint plus d'une dizaine de fois son code de déontologie depuis 1998, notamment en ordonnant d'envoyer des enfants au bureau du ministre, en signant une pétition, en rencontrant une témoin experte et amie en l'absence des parties.

L'année suivant sa démission, l'ancienne magistrate commence à exploiter une entreprise de design et de production d'articles en cuir. Une décision « nécessaire [...] alors qu'elle se voyait imposer un délai d'attente de deux ans avant de recevoir sa pension de juge à la retraite », indique-t-elle dans un document déposé à la Cour canadienne de l'impôt. Pendant trois ans (de 2007 à 2009), Mme Ruffo a exploité une entreprise de produits de cuir qui a généré des revenus totaux de 5607 $ et des pertes nettes de 42 321 $, des montants qui n'ont pas été contestés par le fisc.

En 2010, Andrée Ruffo a rajouté la peinture et la vente de ses toiles comme activités à son entreprise. Cette fois-ci, l'Agence du revenu du Canada n'accepte pas les dépenses et estime que Mme Ruffo pratique un loisir personnel plutôt que d'exploiter une entreprise. Selon les arguments déposés à la Cour canadienne de l'impôt, le fisc allègue que Mme Ruffo n'avait « aucun plan d'affaires précis » et « a été incapable de démontrer qu'elle avait eu des liens d'affaires avec quelque galerie d'art que ce soit », ni avec le sous-traitant qui avait fabriqué, vendu et distribué ses produits de cuir entre 2007 et 2009.

Dans les documents déposés en cour, l'ARC estime que Mme Ruffo, qui vit en France six mois par année, « a effectué plusieurs voyages autour du monde afin de visiter des galeries d'art et de rencontrer des artistes », mais que ces « déplacements à l'étranger de l'appelante ne relèvent pas d'activités commerciales, mais plutôt d'activités personnelles ». Le fisc fédéral conclut que Mme Ruffo n'a pas démontré « que l'exercice de ses activités était structuré et planifié de manière raisonnablement susceptible de réaliser un profit », autant pour les produits de cuir que pour les toiles.

Andrée Ruffo a contesté la décision de l'ARC devant le tribunal fiscal. Elle fait valoir que sa passion pour la peinture est devenue une activité commerciale, qu'elle a fait des « démarches » et rencontré des agents et des galeries d'art, qu'elle a eu une « implication continue et journalière [...] sur une longue période dans les efforts de développement » de son entreprise. « La nature même des dépenses et investissements [...] ne peuvent se justifier sous le couvert du simple passe-temps », indique Mme Ruffo dans un document à la Cour canadienne de l'impôt.

Le dossier doit être entendu par la Cour canadienne de l'impôt le mois prochain. Mme Ruffo n'a pas souhaité commenter le dossier, a fait savoir son avocat. L'Agence du revenu du Canada n'a pas commenté non plus.

- Avec la collaboration de William Leclerc

PHOTO TIRÉE DE FACEBOOK

Peinture d'Andrée Ruffo