Dans son rapport sur les circonstances entourant la mort du sans-abri Alain Magloire, le coroner Luc Malouin insiste sur l'importance de mieux organiser les soins de santé aux personnes ayant un trouble de santé mentale. Il juge l'intervention policière ayant mené à la mort de M. Magloire correcte, malgré quelques lacunes. Il mise sur l'amélioration de la formation policière et sur l'augmentation du nombre de pistolets électriques. Faits saillants et réactions.

Amélioration des soins

« Bien plus que l'augmentation des pistolets électriques, la clé pour éviter des drames est d'améliorer les soins de santé aux gens atteints de maladie mentale et souffrant d'itinérance », insiste en entrevue le coroner Luc Malouin. Le Réseau d'aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM) abonde dans le même sens. « Il faut des services accrus aux personnes itinérantes et en détresse, les ressources ne sont pas là et la réponse du réseau est déficiente. On remet à la rue des patients à peine entrés à l'urgence, dit Pierre Gaudreau, coordonnateur du RAPSIM. On espère qu'il y aura des investissements importants lors du prochain budget. »

Meilleure circulation d'informations 

« C'est un échec du réseau de la santé. C'est épouvantable, tous travaillent en silos », dit le coroner, en faisant allusion au laborieux parcours médical d'Alain Magloire. Pendant 10 ans, l'homme souffrant de schizophrénie a rencontré « plusieurs intervenants médicaux de plusieurs établissements », il a fait « des entrées et sorties fréquentes de ces centres », note le coroner. Son dossier médical, morcelé, a occasionné un « gaspillage de ressources » et alimenté le « phénomène des portes tournantes ». S'il en avait été autrement, « les médecins auraient pu noter une augmentation des crises » et peut-être éviter le drame, selon Me Malouin. Au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), il demande de donner « des directives claires pour éviter qu'un tel événement se reproduise ».

Formation améliorée aux policiers

Le coroner juge l'intervention policière ayant mené à la mort d'Alain Magloire « correcte, sans plus », essentiellement en raison de lacunes de la formation, qui « n'est plus adaptée à la réalité ». Le ton des policiers, qui lui criaient de jeter son arme, était « inapproprié ». « On ne peut demander aux policiers de faire ce qu'on ne leur a pas enseigné », dit toutefois le coroner, qui demande des améliorations rapides. À l'École nationale de police du Québec (ENPQ), on a déjà modifié la formation en ce sens. « Depuis mai 2015, on a ajouté un séminaire de 3 heures sur la gestion du stress et des émotions et un autre sur les techniques de désescalade en santé mentale. On a amélioré et varié nos mises en situation », indique Pierre Saint-Antoine, directeur des communications de l'ENPQ.

Plus de pistolets électriques

L'utilisation d'un taser aurait peut-être permis d'éviter la mort de M. Magloire, selon le coroner. « Même s'il est décrié, le taser est actuellement la seule arme intermédiaire pratique et accessible aux policiers. Il faut faire des recherches pour trouver d'autres options efficaces », dit le coroner. En attendant, il demande plus de pistolets électriques, « spécialement au centre-ville ». Montréal a 84 tasers (à peine 38 sur le terrain), contre 700 à Toronto. « On a plus que doublé le nombre depuis 2012, mais ce n'est pas une solution miracle. Le coroner a reconnu la complexité du travail des policiers dans des problématiques de santé mentale. On reçoit 30 000 appels par année en santé mentale », précise le commandant Ian Lafrenière, porte-parole du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). « Bien que le taser ne soit pas une baguette magique, nous sommes d'accord avec un déploiement plus important », indique Martin Desrochers, de la Fraternité des policiers et policières de Montréal (FPPM). Le RAPSIM émet des réserves. « Ce n'est pas une panacée, on sait que ça peut causer des blessures et des décès. Pour nous, l'important est de favoriser d'autres approches que la répression. »

Une clinique de santé urbaine

Afin de mieux cibler les soins offerts aux sans-abri et à la clientèle vulnérable du centre-ville, le coroner suggère la mise en place d'une clinique de santé urbaine. Il demande d'y « allouer les budgets et l'effectif médical nécessaires afin de donner tous les services de première ligne ». « C'est très positif ; il nous ouvre la porte et donne un appui important à revoir l'organisation des services, se réjouit Jason Champagne, directeur adjoint des programmes de santé mentale au CIUSSS du Centre-Est-de-l'Île-de-Montréal. Nous souhaitons, comme le formule le coroner, que des médecins omnipraticiens nous secondent sur le terrain pour aller vers cette clientèle peu volontaire à demander de l'aide. »

Plus de moyens à PRISM

Le Projet de réaffiliation en itinérance et santé mentale (PRISM), réalisé par le Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM) en collaboration avec la mission Old Brewery, est une initiative saluée par le coroner, qui recommande l'implantation du projet dans tous les centres pour sans-abri de Montréal (avec le soutien du MSSS). PRISM propose d'intervenir auprès des sans-abri dans leur milieu, avec succès. Il en coûte 3000 $ par année par sans-abri pour « le stabiliser médicalement et le sortir de la rue », alors qu'est évalué à 50 000 $ par année par sans-abri « le coût social de l'itinérance ».

Plus de patrouilles ESUP

Le coroner recommande d'augmenter le nombre de patrouilles mixtes de l'Équipe de soutien aux urgences psychosociales (ESUP). C'est « un excellent exemple qui doit être encouragé, favorisé et augmenté sur le territoire ». Une équipe formée d'un policier et d'un intervenant psychosocial couvre le territoire montréalais de 11 h à 23 h. Le coroner recommande également qu'un agent par voiture de police ait une formation RIC (réponse en intervention de crise). « On a doublé la couverture d'ESUP. Nous avons 30 agents RIC et on continue d'en former. Mais trouvera-t-on un agent RIC dans chaque voiture demain matin ? Non », dit Ian Lafrenière, du SPVM. « Il faut malheureusement souligner que la Ville de Montréal est plutôt engagée dans un processus de diminution des ressources », dit Martin Desrochers, de la FPPM. Il ajoute : « Le coroner souligne à grands traits les ratés du système de santé dont les conséquences se déversent dans la rue, [...] les policiers ne peuvent pas et ne doivent pas remplacer le système de santé en matière de santé mentale. »

Un leadership fort en itinérance

« Il n'y a pas de véritable leader » dans la lutte contre l'itinérance, déplore le coroner. Il cite le Dr Olivier Farmer, du CHUM : « Plus de 100 organismes communautaires à Montréal se réclament de participer à la lutte contre l'itinérance et reçoivent des sommes gouvernementales et privées pour cette mission, sans que ne se dégage une vision d'ensemble de leurs actions. » Le coroner propose que la Ville de Montréal prenne le leadership en matière de lutte contre l'itinérance sur son territoire. « Nous accueillons favorablement les recommandations du coroner, indique Annie Samson, vice-présidente du comité exécutif à la Ville de Montréal. Il reconnaît notre volonté de nommer un Protecteur des personnes itinérantes qui sera en poste ce printemps. »

Pour consulter le rapport : https://www.coroner.gouv.qc.ca/fileadmin/Coroners/Rapport_Magloire.pdf