Plaidant l'importance et la complexité du sujet, le gouvernement fédéral a étalé devant la Cour suprême du Canada (CSC), lundi, ses arguments pour obtenir plus de temps afin d'élaborer une nouvelle loi sur l'aide médicale à mourir.

Les juges du plus haut tribunal du pays ne se sont pas prononcés immédiatement sur la demande de sursis, mais ils devraient le faire incessamment, la date butoir du 6 février arrivant à grands pas.

L'avocat du gouvernement, Robert Frater, a soutenu que ce sujet demandait beaucoup de réflexion et que le gouvernement avait ainsi des décisions difficiles à prendre.

«C'est un nouveau Parlement. (Les députés) ont besoin de faire face aux enjeux. Ces enjeux ne sont pas simples du tout», a-t-il insisté.

Le 6 février 2015, les juges de la CSC avaient rendu une décision unanime, invalidant notamment l'article du Code criminel qui interdit à un médecin d'aider quelqu'un - dans des circonstances précises - à s'enlever la vie.

Ils avaient accordé 12 mois au gouvernement fédéral pour offrir une réponse législative respectant le droit, pour les adultes consentants aux prises avec des souffrances physiques ou mentales intolérables, de demander l'aide de leur médecin pour mettre fin à leurs jours.

Le dossier, mis longtemps sur la glace par le gouvernement conservateur, a abouti sur le bureau des libéraux, qui ont pris la relève à Ottawa en octobre. L'échéancier approchant dangereusement, le fédéral a donc demandé à la Cour de lui donner un sursis de six mois.

Me Frater a fait valoir qu'un délai de six mois ne constituait pas un long sursis d'un point de vue du «processus démocratique». La juge Rosalie Abella a immédiatement soulevé que pour une personne qui souffrait sans pouvoir mettre fin à ses jours, c'était plutôt long.

C'est également ce qu'a fait valoir l'avocat de l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, Joseph Arvay. Selon lui, accorder un sursis à Ottawa prolongera encore les souffrances intolérables de certains patients.

«Durant cette période d'extension, soit ils souffriront horriblement, soit ils mourront prématurément et peut-être de façon horrible», a-t-il insisté.

Me Arvay a argué que le public était déjà protégé par l'arrêt de la CSC sur la question. Il a par ailleurs critiqué le gouvernement pour s'être traîné les pieds dans le dossier et a remis en doute la pertinence de parcourir le pays pour consulter la population sur cet enjeu.

Surtout, il a voulu démystifier ce qui arrivera le 6 février, dans l'éventualité où la Cour refuserait d'accorder au gouvernement un sursis.

«Il n'y aura pas de ruée vers les cabinets de médecins pour mourir le 6 février, a-t-il noté. La plupart des gens ne veulent pas mourir (...). Tous les docteurs seront très réticents à accéder à une demande à moins que le cas soit convaincant.»

Au Québec

La situation est particulière au Québec, qui a adopté sa propre loi concernant les soins de fin de vie. La Cour d'appel a autorisé Québec à aller de l'avant avec l'aide médicale à mourir, sans attendre la réponse d'Ottawa, renversant ainsi une décision de la Cour supérieure. Depuis le 22 décembre, les patients peuvent ainsi théoriquement y obtenir une aide à mourir.

Ottawa ne s'oppose pas à l'exemption du Québec, a signalé Me Frater. Le fédéral ne voudrait toutefois pas voir cette exemption élargie à des patients provenant d'autres provinces qui souhaiteraient mettre fin à leurs jours.

Aux audiences de lundi, le Québec a spécialement voulu s'assurer qu'il n'y ait pas de confusion quant au droit de la province de légiférer sur les soins de fin de vie.

«Si les deux ordres de gouvernement ont compétence pour légiférer, je vois mal pourquoi il faudrait que les provinces attendent que le fédéral ait arrêté ses choix et pris une position quant à l'éventuel amendement du Code criminel», a plaidé l'avocat du Québec, Jean-Yves Bernard.

L'Ontario appuie le Québec dans cette démarche et croit que les autres provinces pourront bénéficier de son expérience dans le domaine. La procureure générale de l'Ontario, Madeleine Meilleur, souhaite que le délai de six mois soit accordé par la CSC, mais affirme avoir abattu beaucoup de travail sur la question depuis un an.

«On apprécierait avoir plus de temps. Mais, sinon, nous serons prêts», a-t-elle lancé en marge des audiences.

Entre-temps, le gouvernement fédéral a mis sur pied un comité spécial chargé de mener des consultations sur l'aide médicale à mourir. La composition complète de ce comité mixte a été justement dévoilée lundi. Les députés et sénateurs y siégeant devront se mettre au travail rapidement, puisque le groupe doit déposer son rapport final au plus tard le 26 février.