L'une s'oppose à sa sortie de prison. L'autre lui a presque pardonné. Mais toutes deux vivent encore avec la même douleur de s'être fait enlever leur mère de façon si brutale il y a 18 ans.

Les deux filles de la gardienne de prison Diane Lavigne - assassinée en 1997 par Stéphane Gagné - ont rendu un témoignage hautement émotif, hier, aux audiences de l'ancien motard devenu délateur qui réclame ces jours-ci sa libération anticipée.

« Même après 18 ans, je ne suis pas capable de parler de ma mère sans avoir d'émotions », a témoigné Chantal Daoust, qui est devenue orpheline à 20 ans lorsque sa mère a été froidement assassinée à sa sortie de la prison de Bordeaux. Son père est mort alors qu'elle avait 8 ans.

Assis dans le box des accusés, Gagné fixait le sol, les épaules recroquevillées.

Étranglée par l'émotion, incapable d'en dire davantage, la cadette des deux filles de Mme Lavigne a écrit une courte lettre destinée au jury.

« Ma mère, qui était monoparentale, était mon seul modèle de vie. [...] J'ai échoué beaucoup de choses dans ma vie, mes études, mon estime de soi, car tout le monde sait que ton plus fier admirateur est ta mère. »

Devenue mère de famille à son tour, Chantal Daoust se demande comment elle expliquera plus tard à ses deux enfants - des bambins pour l'instant - comment leur grand-mère est disparue. « Elle est au ciel ma maman parce que quelqu'un voulait avancer dans la vie, avoir des patches sur son blouson. Il l'a tuée à bout portant sans se soucier des dommages que cela pouvait occasionner », écrit-elle dans sa lettre comme une ébauche de réponse à une question crève-coeur, mais inévitable.

L'orpheline de 38 ans a assisté à toutes les audiences. Lorsque Gagné l'a reconnue la semaine dernière, il lui a murmuré « pardon » à travers la vitre de son box sécurisé. Hier, en marge des audiences, La Presse lui a demandé si elle lui avait pardonné. Sa réponse fut immédiate : « Je ne suis pas rendue là. »

Mme Daoust n'appuie pas la position du Directeur des poursuites criminelles et pénales qui recommande la libération anticipée du délateur. « Je voudrais qu'il fasse 25 ans [de prison]. Une peine à vie pour moi, c'est une peine à vie », a-t-elle dit en marge de l'audience. Sa mère, elle, ne ressuscitera pas après 18 ans, durée de l'emprisonnement de Gagné jusqu'à présent, a-t-elle fait valoir.

Aucune rage

Sa soeur Isabelle, elle, semble plus encline à pardonner au meurtrier repentant. « Je n'ai pas de rage ni de rancune envers lui. Il a quand même permis de faire arrêter plus gros que lui », a-t-elle dit aux médias à sa sortie de la salle d'audience, en faisant référence au témoignage de l'ancien motard qui a permis de faire condamner le chef des Hells Maurice Boucher.

Reste que la vie d'Isabelle Daoust, 40 ans, a aussi été gâchée par le tueur. À la mort de sa mère, elle avait 22 ans et plein d'idéaux. En septembre 1997, elle devait commencer son baccalauréat en droit.

Sauf que le 26 juin, sa mère - qui venait de finir son quart de travail à la prison de Bordeaux - s'est fait prendre en chasse sur l'autoroute puis tirer dessus par le passager d'une moto. Le tireur, Gagné, venait d'obéir aux ordres de Maurice Boucher, instigateur du plan funeste visant à déstabiliser les autorités.

Le lendemain du meurtre, l'oncle d'Isabelle - aussi gardien de prison - est venu sonner à sa porte pour lui annoncer la nouvelle : « Mes sympathies, Isabelle. Ta mère a été assassinée. »

« Ça ne se passe pas, ces choses-là, au Québec. Tu ne te fais pas tirer dessus sur l'autoroute », a-t-elle pensé. C'en était fini de son rêve de devenir avocate. Elle ne se voyait pas côtoyer des criminels, encore moins les défendre. La vue d'une simple moto lui donnait la chair de poule.

Dépression

Chaque procès où Gagné a témoigné l'a fait sombrer dans une nouvelle dépression. Elle a dû mener une bataille pour recevoir un léger coup de main du Centre d'aide aux victimes d'actes criminels, soit cinq rencontres remboursées avec un psychologue. Elle s'est souvent absentée de son travail - emploi au bas de l'échelle dans une entreprise de téléphonie - pour finalement le quitter il y a cinq ans.

Isabelle Daoust est aussi devenue mère à son tour. « Mes enfants n'ont pas la mère qu'ils mériteraient d'avoir », a-t-elle dit au jury avant de fondre en sanglots. Elle explique être incapable de planifier quoi que ce soit, craignant de mourir du jour au lendemain comme sa propre mère : « Je ne suis même pas capable de dire à ma fille que j'assisterai à son spectacle à l'école, j'ai trop peur de ne pas pouvoir tenir mes promesses. »

Malgré tout, l'aînée des deux filles de Mme Lavigne n'est pas en désaccord avec la demande du délateur. « Je suis prête à lui donner une seconde chance », a-t-elle dit aux médias présents.

Photo archives La Presse

Stéphane Gagné

Extraits de la lettre de Chantal Daoust, fille cadette de Diane Lavigne

« Après tout ce temps, je suis incapable d'en parler sans émotions apparentes. Telles en sont les conséquences sur ma vie entière ! Ma mère, qui était monoparentale, était mon seul modèle de vie. »

« Ironiquement, je suis factrice, je trie le courrier et passe devant la prison de Bordeaux tous les jours, alors, il ne se passe pas un jour sans que je pense au triste sort de ma mère. »