Austérité oblige, Québec réduit d'environ 40% le nombre de ses procureurs affectés à la lutte contre le crime organisé et restructure complètement ses équipes spécialisées dans ce domaine, a appris La Presse.

Cette annonce, qui a pris les procureurs totalement par surprise, a été faite dans un courriel envoyé en fin d'après-midi mercredi par la directrice des poursuites criminelles et pénales (DPCP), Me Annick Murphy, à tout le personnel du Bureau du DPCP.

Le Bureau de lutte au crime organisé (BLACO), le Bureau de lutte aux produits de la criminalité (BLPC) et le Bureau de lutte à la corruption et à la malversation (BLCM) seront fusionnés et occuperont les mêmes locaux, au centre-ville de Montréal. Le bureau de Québec et les bureaux régionaux de Sherbrooke, Gatineau, Trois-Rivières, Saint-Jérôme et Granby seront fermés.

Selon nos sources, les effectifs des trois anciennes divisions, qui étaient d'environ 110 procureurs, passeront à 60 dans la nouvelle équipe unifiée. Les procureurs qui ne feront pas partie de la nouvelle entité seront renvoyés dans les bureaux de la Couronne de leur région respective. Chaque bureau dissous avait autrefois son procureur en chef. Il n'y en aura désormais qu'un seul, dont l'identité n'est pas encore connue. Un poste de procureur adjoint sera également supprimé.

On ne connaît pas encore le nom qui sera donné à la nouvelle division, mais celui de «Bureau de lutte à la très grande criminalité organisée» est une hypothèse évoquée par nos sources. Une fois intégrés dans la nouvelle structure, les procureurs ne seront pas regroupés par spécialités, mais seront affectés à des équipes multidisciplinaires qui se consacreront tout à la fois à des dossiers concernant le crime organisé, les produits de la criminalité ou la corruption.

Craintes

«Cette décision est le fruit d'une profonde réflexion entamée il y a plusieurs mois, à la recherche d'une meilleure efficience et d'une plus grande cohérence dans l'organisation du travail, le tout dans un contexte budgétaire désormais restreint», commente Me Murphy dans une lettre jointe à son courriel.

On nous a chuchoté à l'oreille que la réduction des effectifs et la centralisation des opérations dans un même local à Montréal permettraient au gouvernement de faire d'importantes économies dans les heures supplémentaires, les frais de déplacement, les frais d'hébergement et de loyer, et le versement d'une prime de 10% accordée à tous les procureurs faisant partie de ces équipes spécialisées.

Des sources interrogées par La Presse voient une certaine logique dans la restructuration, mais s'inquiètent des impacts qu'elle pourrait avoir sur la lutte contre le crime organisé, surtout dans les régions.

«Il va falloir que la Couronne fasse des choix. J'ai peur que les régions n'aient plus les mêmes services qu'avant», dit une source.

«Il y a une spécialisation qui sera perdue dans les régions. Il y aura certainement un impact dans les petits dossiers ou ceux d'ampleur régionale. En centralisant toute la lutte à la grande criminalité à Montréal, on fera de gros dossiers comme SharQc, contre les Hells Angels, ou Honorer, qui visait l'ancien maire Vaillancourt, ce qui accentuera le problème d'engorgement des tribunaux dans la métropole», renchérit une autre, qui craint également une perte d'expérience, car de bons procureurs de l'extérieur ont déjà annoncé qu'ils ne déménageraient pas à Montréal.

«Le nombre final de procureurs affectés à la nouvelle équipe unifiée n'est pas encore déterminé et sera établi en fonction du nombre de dossiers de très grande criminalité. Les procureurs qui retourneront dans leur région respective continueront de faire des dossiers de crime organisé», a assuré Me Jean-Pascal Boucher, porte-parole du DPCP.

La Presse a aussi appris qu'en plus de la fusion des équipes spécialisées, Québec va réduire, par la même occasion, les primes des procureurs affectés à d'autres sections, comme celle des gangs de rue de Montréal.

Certains craignent que les organisations criminelles ne bénéficient, à long terme, de la réduction du nombre de procureurs affectés à la lutte contre le crime organisé, d'autant que plusieurs services d'enquête des principaux corps de police sont aux prises eux aussi avec des restructurations et des réductions de budget dictées notamment par de nouvelles priorités, telle la lutte contre le terrorisme.