La représentante du régime de Bachar al-Assad à Montréal vient d'être épinglée pour son rôle dans un système illégal d'exportation de centaines de milliers de dollars en médicaments vers le Moyen-Orient.

Nelly Kanou, consule honoraire de la Syrie à Montréal et copropriétaire de quatre succursales Jean Coutu dans l'Ouest-de-l'Île, a plaidé coupable à trois chefs d'accusation devant le conseil de discipline de l'Ordre des pharmaciens, hier.

Elle a ainsi reconnu qu'elle avait illégalement participé, de 2008 à 2011, à la vente de 1,5 million de dollars en médicaments à une entreprise montréalaise qui faisait de l'exportation de produits pharmaceutiques vers l'étranger, surtout vers le Moyen-Orient, sans avoir les permis nécessaires à cette fin.

Selon son avocat, Jean-Claude Dubé, elle agissait par «vocation humanitaire» pour aider des hôpitaux de sa région d'origine, même si elle se ménageait une marge de profit. De son côté, l'avocat de la syndique de l'Ordre a qualifié les accusations disciplinaires de «particulièrement préoccupantes et graves à l'égard de la protection du public».

À moins d'un revirement, elle perdra son titre de pharmacienne pendant un an pour les infractions commises, à la suggestion de son propre avocat et de celui de la syndique.

Avec une autre consule honoraire à Vancouver, Mme Kanou est la plus haute représentante du régime Assad au pays depuis l'expulsion de l'essentiel du personnel diplomatique syrien du Canada en 2012. Cette décision faisait suite au massacre d'une centaine de Syriens - dont des enfants - survenu à l'époque dans le village de Houla et attribué à des forces progouvernementales. Le consulat montréalais, qui a pignon sur rue, a toutefois été épargné.

Autre événement l'an dernier

Mme Kanou avait embarrassé le gouvernement fédéral, l'an dernier, avec la publication d'une photographie récente où elle apparaissait souriante avec le ministre des Affaires étrangères de l'époque, John Baird. Celui-ci a ensuite affirmé qu'il avait été «piégé» par un artiste syrien et qu'il ne s'attendait pas à rencontrer une représentante du régime Assad.

La soeur et partenaire d'affaires de la consule, Tania Kanou, s'est aussi reconnue coupable des mêmes chefs d'accusation. Son implication étant moindre, elle demeurera pharmacienne, mais devra acquitter une amende de 37 500$.

Vente illégale

Pendant trois ans, Nelly et Tania Kanou ont illégalement vendu des médicaments ou illégalement servi d'intermédiaires pour la vente de médicaments valant 1,5 million à Mont-Pharma inc., société d'exportation appartenant à un homme d'affaires d'origine jordanienne. Ces produits aboutissaient «surtout au Moyen-Orient, mais aussi en Amérique du Sud», selon la syndique de l'Ordre, Lynda Chartrand.

Les pharmaciennes ont d'abord procuré elles-mêmes des médicaments vendus sur ordonnance à Mont-Pharma inc. pour environ 1,1 million, ce qui leur est strictement interdit: les pharmaciens québécois ne peuvent fournir ces produits qu'à des patients présentant une ordonnance médicale en bonne et due forme.

Nelly et Tania Kanou ont aussi servi d'intermédiaire entre Mont-Pharma inc. et deux grossistes en médicaments. Ces derniers facturaient les pharmacies de Mmes Kanou et livraient les produits chez Mont-Pharma inc. Puis les pharmaciennes facturaient Mont-Pharma inc. Ce modus operandi constitue «un acte dérogatoire à l'honneur ou à la dignité de la profession», car elle a permis aux grossistes de «vendre illégalement» leur marchandise, selon l'accusation.

«Vocation humanitaire»

L'avocat de Nelly et Tania Kanou, Jean-Claude Dubé, a plaidé que ses clientes avaient simplement voulu aider des hôpitaux de la Syrie et du Moyen-Orient. Elles ignoraient qu'elles n'avaient pas le droit de vendre de médicaments ou de servir d'intermédiaire pour la vente de médicaments destinés à un exportateur, a-t-il assuré.

«Elles tirent la leçon, elles l'apprennent durement, la leçon», a affirmé l'avocat. «Cette sanction-là [un an de radiation] n'est pas facile. [...] C'est une sanction qui est sévère. Ça pourrait avoir des impacts sur son statut de consule ici au Canada.»

La syndique Lynda Chartrand a précisé que les pharmaciennes se ménageaient une marge de profit d'«entre 5 et 9% selon les produits» sur les transactions. «Habituellement, c'était 5%», a-t-elle dit.

«Elles n'ont pas agi par appât du gain, mais par vocation purement humanitaire. Je ne dis pas qu'il n'y a pas eu de gain», a ensuite plaidé Jean-Claude Dubé.

Nelly Kanou n'a pas pris la parole pendant l'audience d'hier, sauf pour confirmer qu'elle plaidait coupable. Elle n'a pas voulu répondre à nos questions.