La DPJ n'a pas pu prévenir le suicide d'un adolescent de 17 ans particulièrement troublé qui avait lui-même demandé d'être retiré de sa famille et qui avait déjà tenté de se suicider une fois.

Dans un récent rapport obtenu par La Presse, la coroner Renée Roussel, qui a enquêté sur la mort de l'adolescent, presse le gouvernement de fournir au plus vite une nouvelle marche à suivre aux employés des services de protection de la jeunesse, qui basent leurs interventions sur un protocole vieux de 15 ans qui n'est « plus à jour ».

Elle dénonce aussi le manque de formation des intervenants de la région du Bas-Saint-Laurent, où est survenu le drame, et met en lumière de graves problèmes de communication entre le personnel de la DPJ et celui du réseau de la santé, chacun retranché derrière son devoir de confidentialité.

Une vie difficile

Louis a été retrouvé mort dans son appartement de Trois-Pistoles un midi du mois d'août 2013. Il aurait dû fêter ses 18 ans deux mois plus tard.

Dans la cuisine, il y avait des seringues et des cartouches d'insuline vides partout. Comme pour faciliter la tâche à ceux qui allaient le trouver, le garçon avait sorti sa carte d'assurance maladie et ses cartes d'hôpital.

Louis, dont nous avons choisi de taire le nom de famille pour protéger ses frères et soeurs, est né en Biélorussie. Il a été adopté par un couple de Québécois à l'âge de 7 ans. À la maison, c'était très difficile, nous a confié son père. Le garçon souffrait d'un syndrome d'alcoolisation foetale, d'un trouble sévère de l'attachement et d'un trouble oppositionnel et de provocation. Des diagnostics dont ses nouveaux parents n'étaient pas informés avant de le faire examiner au Canada. Après trois ans de colères, de larmes, de crises et de nombreuses thérapies, rien n'allait plus. Louis a lui-même appelé la DPJ pour demander d'être placé. Il avait 10 ans.

« Le fait qu'il veuille s'en aller, ça n'a pas été facile. On s'est posé plusieurs questions sur nous. », affirme le père de Louis.

Mais le garçon n'était pas bien dans la vie de famille. Il ne s'adaptait pas. Il souhaitait aller mieux. Selon la coroner, les parents étaient « au bout extrême de leurs ressources ». Ils ont laissé partir leur fils en espérant le voir s'épanouir. Il s'est plutôt enfoncé.

Son adolescence a été marquée par de nombreux déménagements entre familles d'accueil, centres de réadaptation et ressources intermédiaires. Il avait de la difficulté à l'école. Il avait des problèmes d'argent et de délinquance. Il peinait à conserver un emploi en raison de ses accès de colère. Il refusait de se faire soigner, tant pour ses problèmes psychologiques que pour le diabète dont il souffrait.

Tentative ignorée

En 2012, Louis a tenté de s'enlever la vie une première fois en s'injectant une dose massive d'insuline après avoir consommé drogues et alcool. Il vivait alors dans une ressource intermédiaire de la DPJ.

Selon l'enquête de la coroner, le sérieux de cette tentative de suicide aurait été grandement sous-estimé. Les nombreux intervenants qui s'occupaient de Louis n'ont même pas tous été informés de l'événement. Les employés de la DPJ et du réseau de la santé n'ont pas partagé leurs informations à cause de leurs politiques de confidentialité. 

« J'ai de la difficulté à comprendre toutefois comment on n'a vraiment pu s'empêtrer avec ces règles si cela est vrai pour une chose aussi grave que le suicide. », se questionne la coroner Renée Roussel.

Après la tentative et l'hospitalisation qui a suivi, l'adolescent n'a pas été confié à des ressources psychosociales. Les intervenants du centre jeunesse ont été laissés à eux-mêmes.

« Le geste suicidaire n'a pas été suffisamment pris au sérieux et [a été] sous-estimé par plus d'un professionnel à ce centre de santé et de services sociaux », tranche la coroner.

Un an plus tard, Louis vivait dans un appartement supervisé pour le préparer à la vie adulte. C'est là qu'il s'est tué.

Sa famille, qui avait gardé le contact avec le jeune homme même si elle n'avait plus de droits sur lui, n'arrive pas à comprendre ce qui a pu se passer. « Louis a été laissé pour compte, dit son père. Il y a "protection" dans Protection de la jeunesse. Dans son cas, je ne vois pas ce que ce mot fait là. Quand on laisse quelqu'un à lui-même, il va se mettre dans la merde. C'était un bon garçon. Il était attachant. Très attachant. »

Protocole vétuste

Dans le cadre de ses recherches, la coroner a découvert que les centres jeunesse basent encore aujourd'hui leurs interventions sur un protocole de prévention du suicide datant du début des années 2000. Celui-ci « repose sur les connaissances de l'époque qui ne sont plus à jour maintenant ». Des travaux sont en cours pour le moderniser, mais les nouvelles directives se font attendre. Elle presse le ministère de la Santé d'accélérer le processus. Une porte-parole nous indique que le protocole modernisé devrait être prêt à l'hiver.

Au Centre intégré de santé et de services sociaux du Bas-Saint-Laurent, on assure avoir pris acte de toutes les recommandations de la coroner pour éviter qu'un tel drame ne se reproduise. La directrice générale du CISSS a demandé un plan d'action le jour même où elle a reçu le rapport, soit le 15 juillet dernier. Les nouvelles mesures devraient être mises en place d'ici septembre.

Une vie difficile

1995

Louis naît dans un quartier pauvre d'une ville de Biélorussie. Sa mère a 16 ans.

1998

Sa mère biologique meurt. Il est placé en orphelinat.

2002

Louis a 7 ans lorsqu'il est adopté par des parents québécois.

Novembre 2005

À 10 ans, Louis est confié à la Protection de la jeunesse jusqu'à sa majorité.

2007

Le garçon commence à souffrir de diabète de type 1.

Mars 2012

Il fait sa première tentative de suicide.

Février 2013

L'adolescent abandonne l'école.

26 août 2013

Le propriétaire de l'appartement de Louis frappe à la porte et n'obtient pas de réponse. La porte est verrouillée de l'intérieur.

27 août 2013

Le jeune homme est retrouvé mort dans son appartement par des policiers qui viennent de forcer la porte.

D'autres cas

En mars 2014, Guillaume Crépeau-Bonnier, 15 ans, s'est enlevé la vie alors qu'il séjournait dans un centre jeunesse des Laurentides. Un juge de la Cour du Québec avait ordonné qu'il reçoive un suivi psychologique qu'il attendait toujours.

En mars 2011, James Dassonville, 17 ans, s'est pendu dans sa chambre du Mont Saint-Antoine du Centre jeunesse de Montréal. Il avait été pris en charge par la DPJ dès l'âge de 3 ans. Il souffrait de troubles de santé mentale. La coroner Catherine Rudel-Tessier a estimé que le Centre jeunesse et les éducateurs avaient fait leur travail