Le 18 octobre 2009, la vie de Gilles Gargantiel a basculé. Après avoir perdu le contrôle de son véhicule, il a passé 43 heures dans un fossé, même si le système d'assistance de sa voiture a alerté les policiers, qui ont cependant abandonné les recherches deux heures plus tard. L'homme a dû se faire amputer un pied en raison de l'engelure qu'il a subie. M. Gargantiel cherche depuis à se faire dédommager en justice. Or il vient de perdre la deuxième manche de sa bataille, qu'il pourrait bien amener en Cour suprême.

Le jour de l'accident, Gilles Gargantiel roule sur la route 148 près de Plaisance, en Outaouais. Selon ses dires, il fait alors -12 °C et une fine couche de glace recouvre la chaussée.

Vers 18h, il perd le contrôle de son véhicule et se retrouve dans un fossé, entre la route et une voie ferrée. «Il neigeait ce soir-là. Soit j'ai eu un moment d'inattention, soit j'ai baissé la tête, je n'en ai aucune idée», raconte l'homme en entrevue avec La Presse.

Il est inconscient, mais le système OnStar de sa voiture se déclenche, ce qui permet à un téléphoniste de l'entreprise d'alerter le 911. Malgré de multiples tentatives, les patrouilleurs de la Sûreté du Québec (SQ) ne localisent pas le véhicule. Au fur et à mesure que les recherches avancent, les agents de la SQ se montrent agacés et commencent à faire des blagues, convaincus qu'il s'agit d'une fausse alerte.

«... une aiguille dans une botte de foin... tu trouves pas... tu trouves pas... Ostie... pis si tu regardes s'a map, y'a un fermier là... pis d'après moi y'est dans' cour du fermier pis sont toutes s'a boisson...», dit un patrouilleur, selon la transcription des conversations policières déposée devant la Cour supérieure. Après deux heures de recherches, les agents de la SQ abandonnent et concluent qu'ils ne peuvent localiser le véhicule. «Ils ne m'ont pas cherché», croit M. Gargantiel.

Inconscient

Il s'écoulera finalement 43 heures avant qu'un cheminot découvre la voiture. Gilles Gargantiel est retrouvé environ 100 pieds plus loin. Il est en hypothermie grave, il a une fracture de la colonne cervicale, six côtes et deux vertèbres fracturées. La victime garde très peu de souvenirs de ce calvaire, qu'il a passé inconscient en grande partie.

«Je me souviens du moment où l'ambulancière m'a ramassé, mais c'est tout. Depuis ce temps-là, j'essaie de revivre le moment, mais je suis incapable», raconte-t-il.

En raison d'une engelure grave, les médecins lui amputent le pied droit. Il passera 13 mois à l'hôpital.

L'automobiliste n'a pas fait de plainte en déontologie contre les policiers. Il a plutôt décidé de poursuivre la Sûreté du Québec pour près de 1 million de dollars. «L'incident est rempli d'illogismes et de négligence», dit-il. Selon lui, il aurait pu éviter l'amputation si la SQ avait agi plus rapidement.

Le no-fault

Après avoir essuyé un premier revers en Cour supérieure, il a perdu une autre bataille il y a une semaine devant la Cour d'appel du Québec. Les trois juges ont rejeté sa poursuite contre le gouvernement québécois. «Certes, l'appelant peut soutenir que le comportement de la SQ l'a probablement privé de la chance de minimiser ses dommages (de réduire l'ampleur de son préjudice), mais il ne peut soutenir que les engelures et l'amputation n'ont rien à voir avec l'accident (ou l'usage de l'automobile)», écrit la Cour d'appel. Les juges concluent que la requête de Gilles Gargantiel et de ses avocats est irrecevable. Selon eux, la victime ne peut poursuivre le gouvernement parce qu'elle est admissible au régime d'indemnisation sans égard à la responsabilité (no-fault).

Cette loi, en vigueur au Québec, interdit à une victime de poursuivre le responsable de l'accident. Le régime d'assurance sans égard à la faute prévoit une indemnisation inconditionnelle pour tous les Québécois blessés sur la route.

Un jugement «pathétique», dit Marc Bellemare

Une décision de la cour avec laquelle l'ancien ministre de la Justice Marc Bellemare n'est pas d'accord. Selon lui, ce jugement «pathétique» vient élargir encore plus la portée du no-fault.

M. Bellemare, qui se bat contre ce régime depuis des dizaines d'années, croit que sur le plan légal, le gouvernement du Québec doit être «mort de rire» en regardant ce dossier.

«Il n'y a personne qui va nier que la Sûreté du Québec est fautive là-dedans. Ce gars-là aurait pu subir des dommages encore plus graves», dit-il.

Gilles Gargantiel a reçu une indemnité de près de 100 000$ de la Société de l'assurance automobile du Québec pour les préjudices corporels subis à la suite de l'accident. Il reçoit aussi un remplacement de revenu de 640$ toutes les deux semaines. L'homme est présentement sans emploi. «En raison de mon traumatisme crânien sévère, je n'arrive plus à me concentrer. Ma mémoire à court terme n'existe plus», affirme-t-il.

Même s'il n'a pas encore pris sa décision, M. Gargantiel se dit tenté par l'idée de porter sa cause en Cour suprême.

- Avec la collaboration de David Santerre

Extraits de la conversation entre le répartiteur et la patrouille de la SQ

Voici trois extraits de la transcription de la discussion entre le répartiteur de la Sûreté du Québec et la patrouille qui a été déposée devant la Cour supérieure. Gilles Gargatiel croit qu'il n'aurait pas eu à se faire amputer le pied droit si la SQ avait agi plus rapidement.PREMIER EXTRAIT

Répartiteur: « Sûreté du Québec. »

Patrouilleur:  « Bon, c'est justement à toi que je voulais parler... Dieu le père. »

Répartiteur:  « Regarde là... OnStar, y'ont encore appelé... »

Patrouilleur:  « On fait tu une plainte de harcèlement contre eux autres ? »

Répartiteur: « J't'à veille... on commencera pas à se promener toute la soirée pour savoir où c'est qu'il est le char parce que eux autres sont mêlés... »

Patrouilleur: « Y'ont pas ça, un numéro de téléphone de la résidence ? »

Répartiteur: « Non, y'ont pas ça... »

Patrouilleur:  « ... une aiguille dans une botte de foin... tu trouves pas... tu trouves pas... Ostie... pis si tu regardes s'a map, y'a un fermier là... pis d'après moi y'est dans cour du fermier pis sont toutes s'a boisson... »

DEUXIÈME EXTRAIT

Patrouilleur: « Oui, OnStar, parle-moi z'en plus, j't'assez écoeuré... »

Répartiteur: « Je leur ai dit de ne plus appeler. »