L'ex-présidente du Tribunal administratif du Québec (TAQ), Hélène de Kovachich, écope d'une suspension sans salaire de six mois pour s'être placée en «véritable conflit d'intérêts» dans sa gestion des fonds publics, a décidé hier la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée.

Il y a deux ans, Mme de Kovachich a elle-même pris la décision d'utiliser le budget du TAQ pour payer l'avocate qui la représentait dans une cause personnelle, selon un comité d'enquête chargé de faire la lumière sur ce dossier. Au total, 213 500$ lui ont été versés.

Mme de Kovachich a démissionné de son poste l'an dernier, après que La Presse eut révélé l'histoire. Elle était redevenue simple juge administrative.

Le Conseil de la justice administrative (CJA), chargé de faire enquête sur les problèmes disciplinaires au TAQ, a suggéré plus tôt cette semaine à la ministre Vallée d'écarter Mme de Kovachich de ses fonctions actuelles pendant six mois, sans rémunération. Un décret entérinant cette recommandation a été adopté hier, a confirmé le cabinet de la ministre.

La principale intéressée et son avocat n'ont pas voulu commenter le dossier. Ils n'ont pas voulu indiquer à La Presse s'ils contesteraient les conclusions du comité.

425$ de l'heure

Mme de Kovachich soutenait qu'elle avait agi «en toute légitimité» dans cette affaire, qu'elle «faisait face à une menace sérieuse à sa réputation et à sa vie privée», qu'«il y avait urgence que des procédures soient prises pour que cesse cette menace», qu'il fallait «faire cesser les pressions [...] qui étaient de nature à perturber l'exercice de ses fonctions de juge et de présidente du TAQ et porter atteinte à sa réputation ainsi qu'à celle de l'institution elle-même». Elle jugeait donc normal que le TAQ assume les frais de sa défense.

Mais le comité d'enquête du CJA ne retient pas son argumentaire. Dans un rapport de 67 pages, il relate en détail les circonstances qui ont mené Hélène de Kovachich à autoriser le versement de dizaines de milliers de dollars en honoraires à Luce Gayrard, avocate en droit familial.

En 2012, la présidente du TAQ disait subir des tentatives d'extorsion et des menaces de la part d'un individu avec lequel elle a eu un litige privé en 2010. Celui-ci est désigné par la simple lettre «X» dans le rapport du comité d'enquête.

M. «X» avait accès à des «documents tout à fait privés» de la présidente du TAQ et tentait de la faire chanter avec ces informations, précise le rapport. Il a d'ailleurs été accusé au criminel pour ces faits, avant que les procédures ne soient abandonnées.

«Les éléments diffamatoires [...] ne concernaient que des éléments de la vie privée de Me de Kovachich», écrit le comité d'enquête. «Elle en convient d'ailleurs elle-même. C'est à titre personnel qu'elle aurait été diffamée.»

En juin 2012, Me Luce Gayrard lance une poursuite en dommages-intérêts au nom d'Hélène de Kovachich pour faire cesser le chantage allégué et obtenir 100 000$ en réparation. L'actuel conjoint de Mme de Kovachich, l'ex-premier ministre Pierre Marc Johnson, verse un dépôt de 10 000$ au cabinet de l'avocate au même moment.

Deux mois plus tard, Mme de Kovachich signe un contrat avec sa propre avocate prévoyant que c'est le TAQ qui lui versera ses honoraires de 425$ l'heure, avec une limite de 200 000$. Elle signe aussi un contrat aux mêmes fins avec un avocat criminaliste, qui sera pour sa part payé 400$ de l'heure, avec une limite fixée à 20 000$.

Mme de Kovachich consulte plusieurs personnes avant de signer ces contrats, dont le ministre de la Justice de l'époque, Jean-Marc Fournier. Celui-ci lui «l'assure de son soutien», selon le rapport d'enquête. La position du gouvernement est de respecter l'indépendance du TAQ quant à la gestion de son budget.

Au TAQ, presque personne n'est informé de la nature exacte du dossier sur lequel travaille Me Gayrard. Hélène de Kovachich dit devoir limiter la transmission de ces informations en raison des ordonnances de non-publication et de mise sous scellé des procédures entamées contre M. «X».

La directrice des affaires juridiques et de l'éthique du TAQ rédige même le contrat entre l'organisme et Me Gayrard sans savoir qui profitera de ses services. Le comité d'enquête reproche d'ailleurs à Mme de Kovachich d'avoir «choisi d'adopter une interprétation de ces ordonnances qui lui était commode».

«Véritable conflit d'intérêts»

Dans son rapport, le comité d'enquête s'interroge sur le bien-fondé de l'embauche par le TAQ d'un avocat pour défendre Mme de Kovachich dans un dossier personnel.

«La démonstration qu'il revenait au TAQ d'instituer ces procédures et d'en assumer les coûts n'a pas été faite à la satisfaction du comité d'enquête», écrit le comité dans son rapport. Mais ce simple fait ne constitue pas, «dans l'absolu, une faute déontologique».

Ce qui constitue une faute déontologique, par contre, c'est le fait pour Hélène de Kovachich de conclure elle-même le contrat entre l'organisme public qu'elle dirigeait et sa propre avocate.

Elle «n'a pas pris les moyens raisonnables pour éviter de se placer «dans une situation incompatible [au sens de son Code de déontologie] avec l'exercice de ses fonctions», tranche le comité.

«Il y a non seulement apparence, mais véritable conflit d'intérêts dans cette prise de décision», ajoute le rapport. «La conduite de Me de Kovachich est de nature à miner la confiance et le respect du public à l'égard du TAQ, de ses dirigeants et, plus généralement, de la justice administrative.»

Le comité retient des «facteurs atténuants» dans la détermination de la peine d'Hélène de Kovachich. L'encadrement administratif de l'attribution des contrats juridiques a pu brouiller les cartes, tout comme les nombreuses ordonnances de non-publication et de mise sous scellés de ses procédures judiciaires contre M. «X».

«La position de Me de Kovachich était difficile», reconnaît le comité d'enquête. «Elle devait se défendre de ce qui apparaît clairement comme du harcèlement, du chantage, voire de l'intimidation. Cependant, puisqu'elle était directement en cause dans cette affaire, que l'objet des menaces concernait au premier chef sa réputation personnelle et que c'est elle qui avait, formellement, le pouvoir de décider si la situation commandait d'engager des fonds publics dans sa "défense", elle se devait de prendre des précautions particulières. La première était de faire en sorte de ne pas avoir à prendre cette décision elle-même, ce qui était possible [...]»