Québec serait prêt à créer un registre des armes à feu quelques semaines à peine après avoir reçu les données du gouvernement fédéral. C'est ce qu'a affirmé le procureur du gouvernement québécois lors des audiences de la Cour suprême du Canada mercredi dans le dossier de l'abolition du registre des armes à feu.

La Cour a entendu en avant-midi les arguments des parties dans cette cause intitulée Procureur général du Québec c. Procureur général du Canada. La province conteste la décision d'Ottawa, adoptée en avril 2012, d'abolir les données du registre des armes d'épaule.

«Le gouvernement fédéral ne peut pas, par cette décision unilatérale là, nous priver de la communication des données pour l'accomplissement de nos fins provinciales. Nous estimons que cette décision-là est contraire au fédéralisme», a plaidé le procureur du Québec, Éric Dufour.

Ottawa maintient qu'elle a agi dans le cadre de ses compétences en adoptant le projet de loi C-19 qui abolissait l'obligation d'enregistrer les armes à feu non restreintes et ordonnait l'abolition de toutes les données recueillies depuis le début du programme adopté par le gouvernement libéral de Jean Chrétien dans la foulée de la tragédie de la Polytechnique.

«Ce n'est peut-être pas une position sympathique, mais il n'en demeure pas moins que sur le plan juridique, le registre des armes d'épaules est sous le contrôle du directeur en vertu d'une loi fédérale et que le Parlement a choisi de le détruire», a tranché le procureur fédéral, Claude Joyal.

La Cour a pris la cause en délibéré et pourrait prendre plusieurs mois avant de rendre son jugement.

Dans les corridors de l'Assemblée nationale hier, le premier ministre Philippe Couillard n'a pas voulu s'engager à mettre sur pied un registre québécois des armes à feu même s'il obtient gain de cause dans le dossier.

Des groupes de pression qui se sont fait accorder le statut d'intervenants dans le dossier, mais qui n'ont pas fait de représentation orale étaient néanmoins présents à la Cour mercredi.

La coalition pour le Contrôle des armes a dit espérer que Québec ait gain de cause dans ce dernier effort pour préserver les données du registre. Selon Marc-Antoine Cloutier, directeur général de la clinique Juripop qui représente la coalition, la reconnaissance par le gouvernement fédéral qu'il ne subirait pas de préjudice du seul fait de partager les données « met en évidence le fait que c'est une décision idéologique qui a pour but de détruire et de nuire au gouvernement du Québec et aux autres gouvernements provinciaux qui veulent emboîter le pas ».

Pour l'Association canadienne pour les armes à feu (NFA), au contraire, l'Assemblée nationale est déconnectée de la réalité et de la volonté de ses citoyens en tentant ainsi de faire invalider la décision fédérale et de créer son propre registre.

« Huit juges à l'unanimité dans quatre causes différentes ont statué qu'il n'existe pas de document, de preuve, d'étude permettant de conclure que le contrôle des armes à feu ou l'enregistrement des armes d'épaules avait une incidence sur le taux d'homicide », a déclaré Claude Colgan, frère d'une victime de la Polytechnique et directeur québécois de la NFA.

« Je n'arrive toujours pas à comprendre que les politiciens du Québec rejettent la voix de la raison. »

M. Colgan a même affirmé que « si c'est moi qui étais décédé le 6 décembre [1989, à la Polytechnique], je peux te garantir une chose : tu parlerais avec ma soeur aujourd'hui ».

Heidi Rajhten, la porte-parole de Polysesouvient qui était présente lors de la tuerie, a aussi assisté aux audiences de la Cour.

Mais le procureur du Québec a affirmé devant les 9 juges de la Cour suprême qu'au contraire, la province pourrait agir très rapidement advenant une victoire.

«Dès que nous recevrons les données, nous serons opérationnels. Il s'agit d'un délai de quelques semaines seulement avant qu'un registre québécois soit opérationnel», a déclaré l'avocat.

Le procureur fédéral a quant à lui fait face à un barrage de questions pointues des magistrats, en particulier des trois juges québécois de la Cour.

«Quel est fondamentalement le préjudice ou le dommage pour le fédéral de donner cette information-là?» lui a demandé d'entrée de jeu le juge Richard Wagner.

«De prendre un CD et de le donner au gouvernement du Québec... Je ne pense pas que c'est ça qui est le problème», a reconnu le procureur fédéral.

Mais «le registre des armes d'épaule ne visait pas seulement les gens du Québec, il visait l'ensemble des Canadiens à travers tout le pays, a-t-il poursuivi. Et le Parlement a décidé de faire bénéficier tous les Canadiens de l'abolition du registre des armes d'épaules parce qu'il considère que c'est une intrusion injustifiée à la vie privée.»

Le procureur du gouvernement du Québec estime que cet argument de la protection des renseignements relatifs à la vie privée ne tient pas la route. Il a fait valoir que le Québec disposait de deux lois relatives à la protection des renseignements personnels, en plus de la Charte québécoise des droits et du Code civil afin de protéger le droit à la vie privée de ses citoyens.

«Si c'est l'inquiétude du fédéral, qu'il ne soit pas inquiet, c'est très bien protégé au Québec», a répliqué Me Dufour.