Pour la première fois dans l'histoire du pays, la Cour suprême du Canada a reconnu le titre ancestral d'une Première Nation sur un territoire spécifique, un arrêt qui pourrait avoir d'importantes répercussions sur des projets énergétiques controversés comme l'oléoduc Northern Gateway.

L'arrêt unanime de huit juges, qui renverse un jugement de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, permettra aux Premières Nations d'établir plus facilement un titre ancestral sur de larges territoires utilisés régulièrement pour la chasse, la pêche et d'autres activités. Il s'agit du premier jugement de la Cour suprême relatif à un titre ancestral, et il s'appliquera à toute revendication territoriale non résolue.

«Il incombe au groupe revendicateur d'établir l'existence du titre ancestral», a écrit la juge en chef Beverley McLachlin dans l'arrêt. «Il faut déterminer la façon dont les droits et intérêts qui existaient avant l'affirmation de la souveraineté peuvent trouver leur juste expression en common law moderne.»

Le plus haut tribunal du pays a cependant estimé que le développement économique pouvait toujours se poursuivre sur des territoires où un titre ancestral a été établi, pour autant que l'on respecte l'une ou l'autre des deux conditions. Le développement économique sur ces territoires nécessitera ainsi le consentement du peuple autochtone, sinon le gouvernement devra prouver que le développement est urgent et considérable, et qu'il est compatible avec l'obligation fiduciaire de la Couronne envers les peuples autochtones.

Essentiellement, cela signifie que les gouvernements devront justifier davantage le développement économique sur les territoires autochtones.

Dans cet arrêt concernant la Première Nation Tsilhqot'in en Colombie-Britannique, la Cour suprême du Canada a également souligné clairement que les lois provinciales s'appliquaient toujours sur les territoires où un titre ancestral a été reconnu, selon les limites constitutionnelles.

Le chef Roger William, de la communauté Xeni Gwet'in, l'une des six bandes constituant la Nation Tsilhqot'in, a salué cette reconnaissance du titre ancestral sur 1750 kilomètres carrés de territoire. «Les Premières Nations à travers ce pays ont fait appel aux tribunaux, conclu des traités, parlé leur langue et démontré l'usage du territoire, et ont ainsi soutenu notre cause - nous les en remercions», a-t-il déclaré par communiqué.

L'Assemblée des Premières Nations (APN) a bien sûr salué cette décision qui «passera certainement à l'histoire comme l'un des jugements les plus importants et les plus fondamentaux jamais rendus par la Cour suprême du Canada».

Le porte-parole de l'APN et chef régional pour le Québec et le Labrador, Ghislain Picard, a soutenu qu'«il s'agit sans contredit d'un jugement historique qui nous permettra de jeter de nouvelles bases et d'établir une nouvelle orientation».

«Dans ce jugement, la Cour indique clairement à la Couronne de prendre au sérieux le titre autochtone et de se réconcilier de façon honorable avec les Premières Nations», a-t-il indiqué.

La chef régionale de la Colombie-Britannique, Jody Wilson-Raybould, a estimé de son côté qu'«à court terme, cette décision démontre à tous les Canadiens les limites et l'inefficacité des mécanismes dont dispose actuellement la Couronne pour se réconcilier avec les Premières Nations».

«Il est primordial que le gouvernement fédéral coordonne ses efforts et élabore un vaste cadre de réconciliation, notamment en abolissant les politiques relatives aux revendications territoriales actuellement en vigueur (...) et en développant de nouveaux mécanismes plus appropriés à l'appui de la réconciliation, y compris des lois reconnaissant l'autonomie gouvernementale.»

Au Conseil des Atikamekws d'Opitciwan, on croit que ce jugement pourra s'appliquer au Québec, où cette nation revendique un territoire couvrant une partie des Laurentides et de la Mauricie. «Notre situation est la même que celle de la Première Nation concernée par ce jugement, et confirme notre position à l'égard d'un titre ancestral atikamekw qui ne se limite pas aux seules réserves, mais à un territoire beaucoup plus grand», écrit le chef du conseil, Christian Awashish, dans un communiqué.

Le chef Awashish s'attend à ce que le gouvernement du Québec «prenne acte immédiatement» de ce jugement. «Il ne peut plus exploiter notre territoire en ignorant notre titre et nos droits», a-t-il prévenu.

Une saga de près de 25 ans

L'affaire remonte au début des années 1990, alors que la Première Nation Tsilhqot'in a commencé à faire appel aux tribunaux et à ériger des barricades pour stopper les exploitations forestières dans le secteur, déclenchant une bataille judiciaire d'une vingtaine d'années ayant coûté des dizaines de millions de dollars.

La Première Nation Tsilhqot'in, dont le territoire se situe près de Williams Lake, en Colombie-Britannique, est constituée de six bandes autochtones où habitent environ 3000 personnes. La communauté Xeni Gwet'in a réclamé des titres ancestraux sur deux secteurs. Une entreprise forestière avait tenté de s'assurer l'accès à ces secteurs au début des années 1980, déclenchant éventuellement l'affaire courante devant les tribunaux.

Le secteur au coeur de la cause en Cour suprême représente environ 5% de ce que la Première Nation Tsilhqot'in considère être son territoire ancestral.

Lors des audiences, qui ont débuté en novembre 2002 et ont duré près de cinq ans, il a été plaidé que la Première Nation Tsilhqot'in avait été présente sur ce territoire pendant plus de 250 ans. Mais on a aussi souligné que ses membres étaient «semi-nomades», avec peu de campements permanents, bien qu'ils aient toujours considéré ce territoire comme le leur, et qu'ils l'aient protégé contre toute présence étrangère.