Robert Mainville, le juge dont la nomination à la Cour d'appel du Québec sème la controverse, a contribué de manière importante à la caisse du Parti conservateur dans les années précédant sa nomination à la Cour d'appel fédérale en 2009.

Des données d'Élections Canada compilées par La Presse démontrent que le juriste montréalais n'est pas le seul à s'être montré généreux avec les conservateurs parmi les 13 personnes nommées dans des tribunaux fédéraux par le gouvernement Harper la semaine dernière.

Ensemble, les trois avocats choisis pour accéder à la Cour fédérale ont versé plusieurs milliers de dollars dans les coffres des conservateurs au cours des dernières années.

Blair Nixon, nommé à la Cour du Banc de la Reine de Calgary, est pour sa part étroitement associé au mouvement conservateur. L'avocat fiscaliste, qui compte plusieurs sociétés pétrolières parmi ses clients, est membre du conseil d'administration et trésorier de la Manning Foundation for Democratic Education. L'organisme a été fondé par l'ancien chef réformiste et parrain du mouvement conservateur contemporain, Preston Manning.

Plus de 5000$

Entre 2007 et 2009, Robert Mainville a versé près de 5000$ au Parti conservateur, à des candidats conservateurs ou à des associations de circonscriptions conservatrices. À ces dons s'ajoutent environ 1500$ versés à la caisse conservatrice en 2006 et près de 3000$ aux libéraux fédéraux entre 2004 et 2006.

Son dernier don aux troupes de Stephen Harper, de 1000$, remonte à avril 2009, soit deux mois avant qu'il soit nommé à la Cour d'appel fédérale. La limite de l'époque était de 1100$.

Parmi les trois juristes nommés à la Cour fédérale il y a 10 jours, l'avocat réputé Henry S. Brown a versé près de 4000$ aux conservateurs depuis 2010 et environ 1000$ aux libéraux. Les deux autres, Keith M. Boswell et Alan Diner, ont donné respectivement environ 4000 et 200$ depuis 2007, uniquement aux conservateurs.

Nominations remises en question

Ces désignations surviennent au moment où des nominations judiciaires du gouvernement Harper sont remises en question, à l'instar de celle du juge Marc Nadon, invalidée par la Cour suprême du Canada.

Robert Mainville est un expert reconnu de droit autochtone qui pratiquait au bureau montréalais de la firme Gowlings jusqu'en 2009. Le 13 juin dernier, le ministre de la Justice a annoncé qu'il serait transféré de la Cour d'appel fédérale à la Cour d'appel du Québec à compter du 1er juillet.

Ce transfert a fait vivement réagir. Une contestation judiciaire a même été déposée par Rocco Galati, l'avocat de Toronto qui a contesté avec succès le choix de Marc Nadon à la Cour suprême du Canada il y a quelques mois.

Plusieurs, dont Me Galati et les partis de l'opposition à Ottawa, craignent que le premier ministre tente de faire indirectement ce qu'il ne peut faire directement, et qu'il nomme le juge Mainville à la  Cour suprême d'ici quelques mois. Dans l'affaire Nadon, cette cour a statué en mars que les juges de la Cour d'appel fédérale ne sont pas admissibles pour occuper l'un des trois sièges réservés au Québec au plus haut tribunal du pays. Un bref séjour au Québec pourrait ainsi permettre de contourner la règle.

Pour l'instant, le gouvernement fédéral n'a pas précisé ses intentions, outre que de réitérer qu'il respectera l'esprit et la lettre de la décision du mois de mars. Il a également précisé que le transfert s'est fait à la demande du juge Mainville lui-même.

Basé sur la compétence

Ottawa s'est défendu d'avoir été influencé par ces contributions politiques. «Notre gouvernement est toujours guidé par les principes du mérite et de l'excellence juridique lors de la sélection et la nomination des juges, a déclaré une porte-parole du ministre de la Justice Peter MacKay. Chaque candidat et candidate apporte une vaste connaissance du droit ainsi qu'une vaste expérience qui seront des atouts significatifs au sein de l'appareil judiciaire canadien.»

À noter que ces dons ne sont pas illégaux et que même les partis de l'opposition ont pris soin de défendre la compétence de Robert Mainville en tant que juriste.

«J'ai beaucoup de respect pour tous ces juristes et personne ne soupçonnerait quoi que ce soit si on n'avait pas un gouvernement qui politise tout», a affirmé le député libéral Stéphane Dion lorsque La Presse lui a fait part de ces informations.

«Mais on n'est pas dans des circonstances normales, a ajouté M. Dion. On est avec un gouvernement qui attaque le directeur des élections, qui attaque le juge en chef, qui politise tous les processus qu'il peut toucher... Et c'est pourquoi il y a cette inquiétude.»

Le juge Mainville a refusé de répondre à nos questions. «Pas d'entrevue, pas de commentaire», a tranché un porte-parole de la Cour fédérale. Ce porte-parole n'a pas donné suite à notre courriel au sujet des autres juges.

Le Grand Chef des Cris salue la nomination

Dans une lettre envoyée à La Presse, le Grand Chef de la nation crie du Québec, Matthew Coon Come, a salué la nomination de Robert Mainville à la Cour d'appel du Québec. Le juge Mainville a représenté les Cris pendant des décennies, notamment lors des négociations de la Paix des Braves. «Il a consacré sa vie à défendre les plus démunis et les sous-représentés du Canada, et il l'a fait avec grand succès», a écrit le Dr Coon Come. «Contrairement à ce que de récents articles publiés dans divers médias anglophones laissent entendre, le profil professionnel du juge Mainville n'en est pas un qui concorde avec les politiques conservatrices du gouvernement Harper.»