Dans son volumineux rapport rendu public aujourd'hui, le coroner André Perreault critique l'intervention du policier Jean-Loup Lapointe qui a mené au décès de Fredy Villanueva ainsi que le comportement de son employeur, le Service de police de la Ville de Montréal,  dans les heures suivant la tragédie telle que le révélait La Presse ce matin.

Le rapport du coroner (PDF)

La réaction de Dany Villanueva, le frère de la victime, à son interpellation par la police le soir du 9 août 2008 fait aussi l'objet de critiques.

«La mort de Fredy Villanueva, on l'a vu, est le résultat d'une multitude de circonstances, qui, chacune prise isolément, ne saurait justifier logiquement ce résultat (...) Toutes les circonstances qui ont contribué au décès sont de nature humaine», conclut le coroner.

Le coroner Perreault ne croit pas l'agent Lapointe lorsqu'il dit avoir eu peur d'être désarmé. «L'agent Lapointe raconte avoir cru qu'il allait être désarmé. La preuve ne permet pas de conclure que Fredy Villanueva a tenté ou a eu l'intention de désarmer l'agent Lapointe (...) Si c'est parce qu'il craignait d'être désarmé que l'agent Lapointe a tiré, il l'aurait dit le soir même au sergent Bellemare et au sergent-détective Boulé à qui il donna sa version, ce qu'il n'a pas fait.»

L'agent Lapointe aurait dû tenter de gagner du temps et demander du renfort avant d'établir un contact physique avec Dany Villanueva, estime le coroner.

Rappelons que le 9 août 2008, Fredy Villanueva, son frère Dany et leurs amis boivent de la bière et jouent aux dés dans le stationnement d'un parc de Montréal-Nord lorsque les agents Jean-Loup Lapointe et Stéphanie Pilotte, à bord de leur autopatrouille, les aperçoivent.

À 19h09 et 43 secondes, l'agente Pilotte répond à un appel reçu sur son terminal - une plainte de bruit - qui lui semble plus urgent qu'une infraction de jouer aux dés. Son partenaire débarque de l'auto sans lui dire ce qu'il compte faire. Il interpelle alors Dany Villanueva. Ce dernier s'éloigne du groupe en protestant qu'il ne jouait pas aux dés et qu'il n'a rien fait.

L'agent Lapointe lui saisit alors le bras. Dany Villanueva résiste. Le policier réussit à lui faire une clé de bras. Le jeune homme se débat encore. Le policier va alors demander du renfort sur la radio qu'il porte sur lui, mais il oublie de donner sa position. Il s'est écoulé à peine 46 secondes. Alors qu'il reçoit un coup à l'épaule, le policier décide d'amener Villanueva au sol. L'agente Pilotte, elle, se jette sur les jambes de Dany Villanueva.

Les jeunes se mettent à avancer vers les policiers en criant aux policiers de lâcher Dany Villanueva. Le policier reçoit un ou des coups à la tête alors que Dany se débat au sol. La policière, elle, reçoit des coups de pied en tentant de le maîtriser.

L'agent Lapointe décide de faire feu. En mois de deux secondes,  il tire quatre coups de feu. Fredy Villanueva est atteint de deux coups de feu au thorax. Jeffrey Sagor Metellus en reçoit un dans le dos et Denis Meas est touché à l'épaule.

Le coroner Perreault ne voit pas l'agent Lapointe comme un «assassin» pour autant.  «Si tel est le cas, comment expliquerait-on qu'il n'ait pas choisi de faire feu sur Dany Villanueva qui était celui qui lui avait donné le plus de fil à retordre ?», demande le coroner.

Cependant, le coroner estime que le drame aurait pu être évité si le policier avait agi comme sa coéquipière, Stéphanie Pilotte. «Si chacune des personnes impliquées avait fait preuve d'autant de pondération que l'agente Pilotte ce soir-là, Fredy Villanueva serait encore vivant». La réputation de la jeune policière a été injustement salie, ajoute le coroner.

Le comportement du frère aîné de Dany Villanueva est aussi critiqué dans le rapport. «Si Dany Villanueva estimait avoir une bonne raison de contester l'infraction qu'on lui reprochait, il ne servait à rien de crier, de s'agiter et de refuser d'établir son identité, quels que soient les motifs pour lesquels il le faisait.»

«Fredy Villanueva ne méritait pas de mourir, insiste le coroner. La preuve n'établit pas qu'il tentait de désarmer l'agent Lapointe ni même de s'en prendre sérieusement à lui et encore moins à sa partenaire.»

Sa mémoire ne doit pas être associée à celle d'un voyou tombant sous les balles d'un policier qu'il s'apprête à désarmer ou à qui il s'apprête de menacer la vie ou celle de sa collègue, conclut le coroner.

Les mesures prises par le SPVM et la Sûreté du Québec dans le cadre d'une politique ministérielle communément appelée «enquêtes de la police sur la police» sont également critiquées, comme le révélait La Presse dans son édition de ce matin. Le coroner parle d'«obstacles à la découverte de la vérité». «L'enquête du coroner a été complexifiée par des lacunes au niveau de l'application des mesures prévues à l'occasion d'un décès survenu à la suite d'une opération policière», souligne-t-il dans son rapport.

Le coroner énumère une longue liste de «manquements». Après leur intervention qui a mal tourné, les agents Pilotte et Lapointe n'ont pas été séparés, contrairement aux autres témoins. Ils se sont rendus ensemble à leur poste de quartier, où ils ont rencontré un délégué syndical. L'agent Lapointe a confié sa version au délégué Robert Boulé en présence de la policière.

Un policier de la Section des crimes majeurs du SPVM aurait dû rencontrer les policiers impliqués avant de quitter la scène, comme le requiert le mode de fonctionnement du SPVM, souligne le coroner.

Des témoins civils ont été arrêtés par le SPVM pour des «raisons obscures», toujours ce soir-là. «Denis Meas a été arrêté pour agression armée. On peut encore se demander pour quels motifs»,affirme le coroner Perreault.

La procédure prévue par le SPVM pour récupérer l'arme et l'étui des policiers impliqués n'a pas davantage été suivie.

La Sûreté du Québec -à qui l'enquête a été transférée en vertue de la politique ministérielle - n'a jamais interrogé les deux agents, alors que les jeunes témoins du drame ont été «isolés» les uns des autres, puis questionnés au poste de police dans les heures suivant le drame.

L'agente Pilotte a remis un rapport écrit cinq jours après l'événement. L'agent Lapointe, lui, a remis son rapport un mois plus tard. «En réponse à l'argument de la Ville de Montréal que le droit des policiers au silence est un droit fondamental en droit criminel, je souligne que la remise d'un rapport administratif n'a rien à voir avec le droit constitutionnel au silence, non plus qu'au droit constitutionnel à l'assistance d'un avocat», explique le coroner.

Il y a également eu une «confusion nuisible concernant le type d'enquête menée lors des interrogatoires», ajoute le coroner.

Le Bureau du coroner formule 22 recommandations pour éviter que de tels événements se reproduisent.

Ainsi, au ministère de la Sécurité publique, le coroner recommande de s'assurer que les corps de police ne munissent pas leurs policiers patrouilleurs d'armes à feu dont la séquence de tir après le premier tir est si rapide que [...] 3 à 8 balles peuvent être systématiquement tirées en 1 seconde ou 1,5 seconde après que la menace a cessé et avant que le policier ne le réalise. »

Il demande aussi au Ministère d'édicter clairement quelle doit être la pratique des policiers lorsqu'ils prennent l'initiative d'un contact physique sans qu'un individu soit détenu ou arrêté. Il demande aussi d'édicter les circonstances dans lesquelles un policier peut être autorisé à dégainer, à faire feu et à quel moment il doit cesser les tirs.

À l'École nationale de police, il recommande de prévoir une formation où un patrouilleur doit faire face à une situation où son partenaire est attaqué.

Il lui recommande également de prévoir une formation où des patrouilleurs doivent décider s'ils interviennent ou non auprès d'un groupe d'individus.

Au Service de police de la ville de Montréal (SPVM), le coroner recommande de veiller à ce que les policiers appelés à intervenir à Montréal-Nord reçoivent une formation sur l'intervention auprès de membres des communautés culturelles, ainsi que sur leur perception de la police.

Le coroner recommande aussi au SPVM d'examiner la possibilité d'équiper les véhicules de police de systèmes de repérage GPS.

Au ministère de l'Éducation, le coroner recommande également d'enseigner dès le début du secondaire la façon adéquate de se comporter avec un policier lorsqu'on est interpellé pour une infraction, ainsi que la façon correcte de contester un constat d'infraction.

Il recommande aussi au ministère d'enseigner les risques d'intervenir lors de l'arrestation d'un tiers, ainsi que la perception que risquent d'avoir les policiers dans un tel contexte.

Aux autorités de Montréal et de Montréal-Nord, le coroner Perreault recommande de mettre sur pied un plan d'action pour combattre la pauvreté et l'exclusion sociale de certains citoyens de Montréal-Nord.

Le coroner a fait savoir qu'aucune entrevue ne sera accordée et qu'aucun commentaire ne sera émis au sujet du contenu de ce rapport.

-Avec La Presse Canadienne