L'an dernier, la moitié des détenus admissibles à une libération conditionnelle dans les prisons québécoises ont renoncé à la demander, souvent à cause de cafouillages bureaucratiques, a constaté La Presse. Plutôt que d'entamer leur processus de réinsertion, ils continuent de monopoliser des centaines de places dans les prisons déjà surpeuplées.

La situation est jugée «hautement préoccupante» par le Protecteur du citoyen et par la Commission des libérations conditionnelles. Et elle ne va pas en s'améliorant.

Selon un rapport de l'ombudsman correctionnel du Québec, la proportion de détenus qui remplissent volontairement un formulaire de renonciation à leur libération conditionnelle a doublé en six ans, passant de 24% en 2007 à 51% en 2012. C'est l'équivalent de 1787 personnes sur 3540 détenus admissibles.

Pourquoi? «Il y a toutes sortes de facteurs», répond Patrick Altimas, directeur général de l'Association des services de réhabilitation sociale du Québec. Certains prisonniers préfèrent sortir de facto aux deux tiers de leur peine, plutôt que d'être soumis aux conditions d'une surveillance en sortant au tiers de celle-ci. D'autres ne sont simplement pas en mesure d'élaborer leur projet de sortie ou n'ont pas confiance en leurs chances.

Délais inquiétants

Mais ce qui est particulièrement inquiétant, c'est que plusieurs détenus resteraient derrière les barreaux parce que leur dossier n'a pas été évalué à temps par le ministère de la Sécurité publique. «Certaines personnes disent effectivement renoncer parce que leur dossier n'a pas pu être préparé à temps pour l'audience», admet le porte-parole Clément Falardeau. Bref, ils tournent le dos à leur liberté à cause de la lenteur bureaucratique.

«Ils se disent que ça ne vaut pas la peine d'aller de l'avant. Ils imaginent qu'ils n'auront pas leur libération à cause de ça, raconte M. Altimas. J'ai même entendu des histoires comme quoi des agents de probation auraient dit à des détenus de ne pas se casser la tête.»

Selon la loi, les criminels qui reçoivent une peine de plus de six mois et qui sont incarcérés dans les établissements provinciaux doivent subir une évaluation de leur risque de récidive et de leur potentiel de réinsertion sociale avant le sixième de leur peine. Les résultats de cette étude sont ensuite utilisés par la Commission des libérations conditionnelles dans sa décision d'accorder ou non la liberté à un détenu.

Toutefois, dans près de la moitié des cas, les évaluations ne sont pas effectuées dans les temps requis, selon le rapport de l'ombudsman correctionnel du Québec. En 2011-2012, seulement 42% des nouveaux détenus ont été évalués avant le sixième de leur peine.

«Non seulement le Ministère ne réussit pas à produire les évaluations dans les délais prescrits, mais la situation se dégrade depuis l'année dernière», lit-on.

À Québec, on dit prendre les choses au sérieux. De nouvelles modalités d'évaluation ont notamment été mises en place en janvier dernier dans l'espoir de réduire le temps de production des évaluations et d'en augmenter le nombre. Les résultats se font attendre. «L'augmentation du nombre de personnes incarcérées a diminué l'effet de ces changements», explique Clément Falardeau. Il tient à préciser que les retards dans les évaluations sont «une raison, mais pas la seule» pour expliquer les renonciations.

Des conséquences lourdes

Le fait que les détenus, quels que soient leurs motifs, soient toujours plus nombreux à tourner le dos à leur libération entraîne de lourdes conséquences entre les murs. «C'est évident que ça a un effet sur la surpopulation, estime Patrick Altimas. Ça prolonge l'incarcération de plusieurs semaines ou de plusieurs mois, alors qu'il y a certainement une proportion des gens qui renoncent à leur libération, mais qui l'auraient autrement obtenue.»

Autre problème: les criminels qui sortent au tiers de leur peine ont accès à tout un réseau pour les aider à se réhabiliter. «Ils ont de l'encadrement», dit M. Altimas. Ceux qui n'ont pas de libération conditionnelle et sortent automatiquement aux deux tiers de la peine sont laissés à eux-mêmes, «sans supervision». «Ils se retrouvent dans la communauté avec absolument rien pour les aider. Je ne suis pas certain que la sécurité publique est bien desservie ainsi», s'inquiète Patrick Altimas.

Sans compter, rappelle le vice-président de la Commission des libérations conditionnelles, Sultan David, que c'est un droit qui est brimé. «Et c'est toujours préoccupant lorsque des gens renoncent à leurs droits.»

Ce que dit la loi

Toute personne détenue pour une période de six mois ou plus dans un établissement de détention du Québec est admissible à une libération conditionnelle au tiers de sa peine, à moins d'y renoncer par écrit. C'est la Commission des libérations conditionnelles qui est chargée d'accorder ou non la libération, selon plusieurs critères, dont le risque de récidive.

Lorsqu'une personne obtient une libération conditionnelle, elle doit rencontrer un agent des services correctionnels ou un agent de probation et parfois un intervenant communautaire qu'elle doit rencontrer régulièrement et qui informera l'agent de probation du cheminement. Elle est sous surveillance jusqu'à la fin de sa sentence.

Le non-respect de l'une des conditions ou le fait de commettre une nouvelle infraction criminelle entraîne automatiquement un rapport à la Commission. Le contrevenant risque de perdre des privilèges et de purger une partie ou le reste de sa peine en détention.

Liberté d'office

Une personne contrevenante, qui n'a pas bénéficié d'une libération conditionnelle et qui a respecté les règlements de l'établissement de détention pourra mériter une réduction de peine jusqu'à concurrence du tiers de sa peine et être libérée au deux tiers de sa peine.

Au moment de sa sortie de prison, elle n'est pas sous surveillance et ne se rapporte pas à un agent de probation.

* Source : Commission des libérations conditionnelles