Chaque semaine, Nathalie Collard rencontre un acteur de l'actualité et lui pose 10 questions. La 11e question vient du public. Cette semaine, notre journaliste s'entretient avec Me Jean-Claude Hébert, avocat et porte-parole de la Commission d'examen des troubles mentaux.

1 Cette semaine, la Commission d'examen des troubles mentaux a recommandé la libération de Guy Turcotte, une décision qui soulève l'indignation dans la population. Comprenez-vous cette réaction?

Je la comprends très bien. Les gens ont du mal à comprendre la complexité de notre système judiciaire. Aujourd'hui, c'est la Commission qui écope de la mauvaise humeur de la population, qui découle du verdict qui a été rendu par une cour de justice, dans des circonstances telles que les gens ont l'impression que c'est un mauvais jugement et ne l'acceptent pas. Or, le tribunal administratif est pris lui aussi avec ce verdict et doit composer avec la réalité qu'on lui présente: M. Turcotte est un patient et on doit évaluer s'il représente un risque pour la société. L'équipe thérapeutique juge qu'il n'y a pas de risque imminent. La loi nous dit donc qu'il doit être remis en liberté - je précise: «conditionnelle», car les gens ont tendance à l'oublier.

2 Les critères utilisés par la Commission pour évaluer la dangerosité - histoire personnelle, orientation sexuelle, etc. - sont-ils adéquats?

Faute de mieux, on est obligé de dire oui. Le pronostic de la dangerosité des citoyens s'appuie sur des méthodes d'analyse, et les scientifiques nous disent qu'il en existe plusieurs. Certaines de ces méthodes cherchent à voir si un individu se situe dans la moyenne respectable en matière de risque potentiel pour la société. Il y a risque de se tromper, c'est certain. Mais veut-on une société qui élimine tous les risques - la fameuse tolérance zéro? À mon avis, on n'y arrivera jamais.

3 La Commission serait-elle tenue responsable si M. Turcotte commettait un acte violent?

Si on parle de responsabilité au sens technique du terme, non. Si on parle de responsabilité morale, bien sûr. Les gens qui prennent des décisions délicates en cette matière le font toujours avec une certaine angoisse. C'est pour cela qu'ils sont trois. La première fois, ils étaient cinq à se réunir. Ils essaient de pondérer leur appréciation du risque, leur perception des faits et des circonstances. J'imagine que, quand on se couche le soir, on a toujours la crainte qu'une catastrophe se produise.

4 On dit que, dans l'état actuel de la loi, la Commission n'avait pas le choix de recommander la libération de Guy Turcotte. La loi devrait-elle être modifiée?

Les lois peuvent toujours faire l'objet d'améliorations au fil du temps. Dans l'ensemble, le système que nous avons fonctionne relativement bien. Il y a probablement des ajustements à faire. Je suis très favorable à l'amélioration du statut des victimes. Je souligne qu'on a fait des progrès importants depuis une vingtaine d'années, mais il y a encore des ajustements à faire pour impliquer davantage les victimes dans le processus judiciaire afin qu'elles se sentent citoyennes à part entière, responsables du bon fonctionnement du système. Dans le cas de la Commission, le statut des victimes est restreint. Elles pourraient avoir un apport plus significatif, sans aller cependant jusqu'à leur donner un pouvoir de décision. Elles ne doivent pas être placées dans une situation de juge et partie.

5 On dit que le cas de M. Turcotte est hors norme. Fera-t-il jurisprudence?

Je comprends qu'on puisse avoir cette crainte, mais non, il ne fera pas jurisprudence. Dans les procès devant jury, le verdict est rendu par des citoyens et ils ne motivent pas leur décision. On ne sait pas et on ne saura jamais ce qui, précisément, dans le procès Turcotte, a fait en sorte que 12 personnes ont été unanimes à dire que cet homme était non criminellement responsable. Dans d'autres dossiers, comme celui de Francis Proulx par exemple, cette défense n'a pas été acceptée.

6 Le verdict Turcotte fait dire à plusieurs qu'il y a une justice pour les riches et une autre pour les pauvres. Êtes-vous d'accord?

Cela me fait sursauter, car les deux procureurs de M. Turcotte, les frères Poupart, qui sont d'excellents avocats, ne peuvent être qualifiés de grands ténors qui travaillent pour les riches, au contraire. Ces deux avocats travaillent pour des petites gens. S'il y a quelqu'un que je connais depuis que je pratique le droit qui accepte de prendre des dossiers parfois sans être payé, c'est bien Pierre Poupart. C'est un apôtre de la profession! M. Turcotte était peut-être un nanti de la société, mais il n'a pas eu plus ou moins de droits à cause de son statut social. Il a été traité par la même machine judiciaire.

7 Depuis 1992, le nombre de verdicts de non-responsabilité criminelle est passé de 400 à environ 5000. Comment expliquer cela?

C'est parce que, dans les années 90, on a élargi la possibilité de permettre cette défense pour des crimes moins graves. Autrement dit, on a élargi la palette des infractions et on a cessé de les judiciariser. Avant, on envoyait en prison une personne qui souffrait d'un trouble mental sans se soucier de ce qui allait lui arriver. Maintenant, on lui permet d'avoir un suivi. Cela grossit considérablement les statistiques, mais ce ne sont pas des crimes graves. Je trouve que c'est un progrès de société.

8 Certains ne comprennent pas pourquoi Guy Turcotte est libre alors que Cathie Gauthier, cette mère qui a tué ses trois enfants et qui était devant la Cour suprême cette semaine, se voit refuser la possibilité d'une libération conditionnelle avant 25 ans.

Dans le cas de Mme Gauthier, sa défense n'a pas été retenue. Il y a plusieurs cases dans le Code criminel, et la case «irresponsabilité» est celle que les gens comprennent le moins. Comment peut-on être dément le jour du crime et sain d'esprit trois ans plus tard? C'est l'évolution de la maladie mentale. Les médecins nous disent qu'on peut être fou un jour sans être fou toujours.

9 Dans la définition de la non-responsabilité criminelle, on reconnaît à l'individu l'incapacité de faire un choix rationnel. Dans ce cas, comment envisager que M. Turcotte reprenne un jour la pratique médicale?

Cette incapacité est située au moment des faits litigieux. Or, son malaise a évolué, la situation a changé et, pour l'instant, on présume qu'il est capable de faire un choix rationnel, sinon on ne l'aurait pas mis en liberté. C'est évolutif, tout ça.

10 Le ministre James Moore et le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu ont annoncé qu'il y aurait des modifications législatives afin d'encadrer davantage les critères de mise en liberté. Qu'en pensez-vous?

Ma crainte, c'est que la décision soit déjà arrêtée et qu'elle ait été prise derrière des portes closes, par des fonctionnaires, sans la contribution des personnes impliquées. Je suggère plutôt que le gouvernement crée un groupe d'étude où des gens de tous les milieux - médical, juridique, les victimes, etc. - iraient se faire entendre avec leur expertise. On devrait aussi regarder ce qui s'est fait dans d'autres pays démocratiques afin de situer le système canadien. On aurait un éclairage très utile avant de modifier la loi de façon ponctuelle, avec des morceaux qu'on ajoute ici et là. Ma crainte est qu'on impose aux médecins un cadre trop rigide de détention avec une grille d'analyse fixe. L'État ne peut pas s'immiscer dans le lien thérapeutique, ce serait aller trop loin.

TWITTER +1 de Louis Munger @Loumung

En replaçant Turcotte dans la circulation, ont-ils pensé aux réactions potentiellement négatives des gens?

C'est une question délicate et pertinente. La décision écrite n'est pas encore rendue, mais probablement que les décideurs ont soupesé ces facteurs. Je me souviens que, à la première audience de la Commission, la question avait été posée. Le Dr Pierre Rochette a dit que M. Turcotte avait une réaction de passivité, qu'il se repliait sur lui-même. Il n'y a rien d'absolu, mais on espère qu'il a assez de jugement pour fuir ce genre de situation.